
NDLR : Ce texte est un résumé commenté du dernier chapitre du livre de Paul Cliche paru en avril dernier : Paul Cliche, un militant qui n’a jamais lâché. Chronique de la gauche politique des années 1950 à aujourd’hui. Varia, 2018, 430 p.
Québec solidaire est à la croisée des chemins. Les prochaines élections décideront probablement du rôle qu’il sera appelé à jouer sur la scène politique québécoise. Se contentera-t-il d’être la « conscience morale » de l’Assemblée nationale ou deviendra-t-il un sérieux aspirant au pouvoir?
Bref historique
Québec solidaire (QS) est né il y a un peu plus de 10 ans. En 2007, il a recueilli 3,6 % des votes en présentant 108 candidats et 7,6 % des voix en 2014 avec 124 candidats. Aux quatre élections auxquelles il a participé, QS a misé sur une liste paritaire de candidatures hommes-femmes, se démarquant ainsi des autres partis dont la proportion de femmes est beaucoup plus faible. QS a fait élire son premier député, Amir Khadir, en 2008 auquel se sont jointes Françoise David en 2012 et Manon Massé en 2014. La progression a été plus lente qu’on l’espérait car, lors des dernières élections, on prévoyait franchir et même dépasser le cap des 10 % d’appuis électoraux. Toutefois, il ne faut pas oublier que si les élections québécoises reposaient sur un mode proportionnel, le scrutin de 2014 aurait permis l’élection d’au moins neuf députés solidaires.
Depuis le début de 2017, Québec solidaire s’est littéralement métamorphosé avec le départ de Françoise David pour des raisons de santé, l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) comme porte-parole du parti, son élection comme député de Gouin avec 69 % des suffrages en l’absence d’un candidat péquiste, le rejet à forte majorité de pactes électoraux avec le PQ, la fusion avec Option nationale (ON) ratifiée à 80 % et, enfin, le clou de la prochaine campagne électorale : le choix de la députée Manon Massé comme représentante du parti au débat des chefs. De son côté, tout en demeurant porte-parole aux côtés de Manon Massé, le député Gabriel-Nadeau Dubois agira à titre d’organisateur en chef de la campagne solidaire.
Un dynamisme nouveau
L’arrivée de GND, icône du Printemps érable de 2012, a injecté un nouveau dynamisme à QS. Dans les mois suivants, le parti a recruté plus de 6 000 nouveaux membres, dont 60 % viennent de l’extérieur de Montréal. En l’espace de neuf mois, le nombre de membres de QS est passé de 11 000 à 17 000, sans compter ceux qui s’y sont joints après la fusion avec Option nationale en décembre 2017. Du côté du financement, le parti a dépassé ses objectifs pour 2017 : quelque 3 550 donateurs et donatrices lui ont permis d’amasser plus de 300 000 $ en souscriptions. Sur ce plan, Québec solidaire se classe devant la CAQ qui, selon les rapports du Directeur général des élections, n’a recueilli que 225 000 $. Québec solidaire a aussi plus de membres que la CAQ, même si les caquistes comptent 21 députés. Aux dernières nouvelles, les résultats financiers pour les premiers mois de 2018 sont aussi encourageants que ceux de 2017.
Seule ombre au tableau, les sondages, qui avaient connu une embellie importante au printemps et à l’été 2017, après l’arrivée de GND, ont redescendu, au début de 2018, à leur niveau antérieur de 10 %.
De courroie de transmission à force autonome
Dans son rôle de « parti des urnes et de la rue », où il a été très efficace, QS s’est bien gardé de tenter d’imposer son hégémonie sur les mouvements sociaux à l’instar des groupuscules marxistes-léninistes des années 1970. Plutôt que de retomber dans l’ornière de l’entrisme en se proclamant un parti d’avant-garde, il s’est fait le porte-voix de ces mouvements en transmettant leurs revendications à l’Assemblée nationale.
Le défi auquel QS fait maintenant face est de franchir un autre stade de son développement en dépassant ce rôle de courroie de transmission pour mettre sur pied ses bases de luttes sociales avec des objectifs qui lui appartiennent en propre. Il lui faut faire la démonstration qu’il est capable non seulement de relayer les revendications des autres, mais aussi de le faire en son propre nom. Il faut qu’il mobilise une tranche plus large de la population pour créer une masse critique qui permettra au projet qu’il propose d’attirer un très grand nombre de personnes, sinon la majorité.
Il ne faut pas oublier que Québec solidaire est la plus importante organisation politique de gauche au Québec : des milliers de membres répartis dans toutes les régions du Québec, une organisation structurée et fonctionnelle et un réseau de communication interne et externe étendu. Toutefois, QS a passé trop de temps et a consacré trop d’efforts à discuter des positions et de la politique interne du parti, mais pas assez à agir politiquement sur le terrain. Ainsi, l’adoption du programme aura-t-elle pris plus de onze ans. Il faut aussi limiter le nombre de rencontres nationales. Jusqu’ici, les associations locales ont dû consacrer trop de temps à se préparer pour participer à ces instances. Cela rebute des membres qui, s’attendant à agir sur le terrain, se retrouvent plutôt à palabrer dans des réunions. Et pour cette raison, certains décrochent.
Franchir le mur des régions
Au cours des dernières années, les dirigeants nationaux n’ont pas ménagé leurs efforts pour participer à des rencontres en région et même effectuer des tournées épuisantes à travers le Québec. Mais, maintenant que les finances du parti le permettent, il faut investir de façon appropriée dans le développement du parti en région. Il faut faire en sorte de consolider les associations locales pour qu’elles deviennent plus autonomes et se transforment en agentes de changement dans leur milieu.
Le Québec est un pays de régions. Il y a des réseaux, des organisations, des institutions qui possèdent chacune une culture particulière qu’il faut investir comme le Parti québécois a su le faire jadis. Québec solidaire n’a aucune chance de prendre le pouvoir s’il ne s’implante pas solidement en région. Il faut qu’il se défasse le plus vite possible de son image de parti « montréaliste » et qu’il se décentralise. Il faut aussi qu’il clarifie son discours sur certains enjeux comme les projets de développement économique.
Une stratégie innovatrice : le parti mouvement
Québec solidaire dévoilait, en février, l’orientation stratégique qu’il a adoptée en vue des élections d’octobre. S’inspirant des campagnes populaires de Bernie Sanders aux États-Unis et de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, il a lancé la plateforme Internet « Mouvement ». C’est une nouvelle façon pour les membres de s’impliquer concrètement. « Mouvement » concrétise la volonté du parti de décentraliser son action politique. Ainsi, les militants et les militantes sont maintenant libres d’organiser des actions, de créer des événements comme des assemblées de cuisine et de se réseauter directement avec d’autres solidaires.
QS mise sur la mobilisation de milliers de personnes partout à travers le Québec. Et avec la plateforme « Mouvement » il met à la disposition de ses militants un outil puissant d’organisation sans égal en politique québécoise. Cette nouvelle forme d’organisation corrigera deux défauts qui ont constitué le tendon d’Achille du parti jusqu’ici : le manque d’implication de ses membres dans des actions concrètes et la trop grande centralisation de ses structures.
Bref, il faut aller à l’essentiel, c’est-à-dire offrir à la population une proposition politique claire, prendre des engagements simples et fermes. Il faut aussi être encore plus spécifique que lors des campagnes précédentes en énonçant des mesures précises et en faisant ressortir leurs incidences immédiates sur les gens.
QS compte aussi sur des moyens de campagne plus conventionnels. Ainsi, quatre grands ralliements sont prévus d’ici le mois de juin : à Sherbrooke, à Rouyn-Noranda, à Québec et à Montréal. Par ailleurs, les assemblées d’investiture des candidats et des candidates se déroulent rondement depuis le début de l’année. L’objectif est de choisir des personnes bien implantées dans leur milieu en respectant la parité hommes-femmes. Ainsi, les cinq candidats et candidates de l’Estrie ont été choisis en mars, de même que dans plusieurs autres circonscriptions. Ça se poursuivra à ce rythme jusqu’à la fin du printemps, entre autres à Rimouski avec Sylvain Lirette et Carol-Ann Kack. Certains candidats plus connus ont aussi commencé à se manifester, comme Vincent Marissal, ex-chroniqueur politique à La Presse qui affrontera Jean-François Lisée dans Rosemont. À suivre!
Paul Cliche est un des membres fondateurs de Québec solidaire.