Champ libre

Entre borborygme et érudition

Par Sébastien Chabot le 2018/03
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Entre borborygme et érudition

Par Sébastien Chabot le 2018/03

Toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite dans ce premier roman de Claude La Charité. La fiction, ici, procède de la digestion du réel à travers lequel l’auteur se construit un portrait autofictionnel, bien sûr, et où, surtout, il en vient à composer le masque d’un écrivain fictif du nom d’Henri Vernal. Sorte de Victor-Lévy Beaulieu malgré lui, ce calorique personnage d’écrivain sera au cœur d’une intrigue où il s’agira d’instaurer un prix littéraire, avant que de lui trouver un récipiendaire. Proposition simple s’il en est, mais c’est sans compter sur la nature même du prix : comment diantre! convaincre un auteur d’accepter un hommage anthume qui récompensera son opus ultime? (En sous-texte, ne l’invitons-nous pas à avoir la gentillesse de bien vouloir mourir ou, au minimum, à cesser d’écrire?) Cette excellente idée saugrenue, qui a tout d’une blague, va permettre à l’auteur, au-delà de la drôlerie intrinsèque de la situation, de brosser le portrait d’un certain milieu universitaire et institutionnel qui tente, tant bien que mal, de récupérer le génie pour justifier son expertise. Entreprise tautologique qui, chez La Charité, se voit racontée sur un registre qui passe volontiers de la blague légère à l’érudition joyeuse. L’auteur est, en effet, capable de rappeler les grands autodafés de livres qui ont traversé l’histoire et de décrire, en même temps (bravo!), une scène burlesque où Henri Vernal brûle son dernier ouvrage lors d’une conférence de presse (toute ressemblance…); ce même Vernal, ou son « Immensité », aura d’ailleurs, à cette occasion, ce mot éloquent : « Après avoir écrit et désécrit ce livre, il fallait le brûler pour qu’il renaisse de ses cendres. »

L’une des grandes réussites de ce roman est sans conteste ce portrait d’écrivain mythique qui joue allègrement sur les contrastes : d’un côté, un Vernal public, animé de la mauvaise humeur des poivrots et excusé d’avance par son talent; et, de l’autre, un Vernal raffiné et artiste, obsédé par les questions d’immortalité. Il faut lire avec attention l’échange fascinant entre le narrateur et Henri Vernal, dans son scriptorium, pour comprendre ce qui traverse le roman — qui, au départ, se donnait à lire comme une farce. Or voilà la force de La Charité : son comique est sérieux; son sourire nous fait voir ses dents dans certains passages, comme lorsqu’il critique l’esprit affairiste qui s’empare parfois de l’université : « À combien de collations de grades faut-il assister où le diplômé, le mortier de travers, ânonne son couplet sur l’école de la vie, ô combien plus utile que la recherche désintéressée de la vérité. […] Bienvenue dans l’université du XXIe siècle, celle du nouveau self-made-man avide de passer pour détenteur sinon d’un savoir patenté du moins appris sur le tas, entrepreneur sans scrupules et aventurier âpre au gain, quasi analphabète et le plus souvent incapable de formuler un discours énonçant clairement ce qui se conçoit aisément. » Roman aux dialogues vifs et roboratifs, ce Meilleur dernier roman donne à voir un univers où les livres sont aimés pour ce qu’ils sont, et pour ce qu’ils font vivre. L’art ou la vie est un faux dilemme, ici : l’art est la vie, point barre. 

Claude La Charité, Le meilleur dernier roman, Longueuil, L’instant même, 2018, 179 p

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