Non classé

Une bibliothèque refuge

Par Christine Portelance le 2017/11
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Une bibliothèque refuge

Par Christine Portelance le 2017/11

« J’ai toujours imaginé le paradis comme une sorte de bibliothèque »  

                                                                  – Jorge Luis Borges

Depuis l’annonce par l’UQAR d’un élagage de 30 % des ouvrages de la bibliothèque Bernard-Pouliot, je me dis que si les livres deviennent des mal-aimés à l’Université, alors il y a péril en la demeure. Dès l’enfance, la lecture m’a servi de refuge contre les bouleversements de la vie et elle est rapidement devenue une passion. J’aime d’amour les livres et les lieux qui les abritent. La seule idée que les livres pourraient bientôt avoir besoin de refuges m’attriste profondément.  

Je ne crois pas que les confidences d’une vedette déchue ou les best-sellers pondus à la chaîne n’aient jamais besoin d’être rescapés. Cependant «[l]e nombre de mauvais romans ne doit pas faire oublier la grandeur des meilleurs », disait Camus. Comment alors s’y prendre pour choisir ce qui est précieux? J’ai retourné le problème en commençant par la question du lieu.

Il existe de magnifiques bibliothèques de par le monde et il y a ces lieux de l’imaginaire. En lisant Le Nom de la rose, j’ai tellement été fascinée par la bibliothèque borgésienne que décrivait Umberto Eco qu’à la sortie du film tiré du roman, je me suis précipitée au cinéma afin de voir comment elle y serait représentée. Plus prosaïquement, l’édifice historique de la Bibliothèque du Parlement à Ottawa, avec ses boiseries ouvragées, ses escaliers en colimaçon, m’a fait naguère me pâmer d’admiration.

Je me suis mise à rêver d’une bibliothèque refuge ici. Dans la cathédrale désaffectée, les fenêtres retrouveraient des vitraux colorés; à l’intérieur, en une maestria architecturale, une armature de bois autoportante intégrerait des rayonnages.  Aux étages des différentes mezzanines en spirale (rappelant vaguement Escher), il y aurait des livres et des documents d’archives; en bas, des alcôves garnies de tables et de fauteuils profonds. Que des matériaux nobles : bois, verre, pierre, marbre, métal.

Afin d’expérimenter l’ici-maintenant : pas de portable, pas de téléphone. Un lieu ouvert pour lire, écrire, réfléchir ou tout bonnement faire silence ou encore se réciter ce vers baudelairien : « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. » Nourrir l’âme et l’esprit afin d’éviter l’amnésie ou le désespoir. On n’y trouverait que les ouvrages d’auteurs disparus, à lire sur place; les vivants ont d’autres tribunes.  Pour les « amoureux fervents » et les « savants austères », on y laisserait déambuler quelques « chats puissants et doux » aux « pupilles mystiques » étoilées d’or.

Le chœur en resterait le cœur, on pourrait s’y poser à toute heure du jour pour méditer ou simplement se recueillir. Égrener les secondes de silence comme autrefois le chapelet. On pourrait aussi, à certains moments, choisir d’en faire un lieu de rituels laïques pour les naissances et les funérailles?  Comme le disait Eco, « Si Dieu existait, il serait une bibliothèque. »                                        

Avec sa signature audacieuse, la cathédrale ainsi désacralisée dirait: venez, on trouve ici des documents rares, des œuvres précieuses et un silence exceptionnel. On y viendrait pour la beauté du lieu et sa sérénité. Pour y lire un seul poème ou y passer la journée. Pour se mettre à l’abri du tumulte quand le vent et la mer se déchaînent quelque part sur la planète et qu’il y a trop d’images, trop de paroles creuses, trop de sans-abri et d’enfants morts sur la plage; quand la bêtise humaine nous trouble profondément ou quand on a simplement besoin d’une pause d’ego.

Les cloches sonneraient au lever et au coucher du soleil. La place publique attenante accueillerait des artistes ambulants et du théâtre de rue; chaque soir, jeunes et moins jeunes s’y rassembleraient pour danser la « folle farandole » de l’angélus. Pure affabulation que tout cela? Peut-être. La lecture incline à imaginer un monde meilleur en conjuguant savoir, conscience et imagination. La lecture est dangereuse pour qui craint les insoumis, car le consommateur lambda ne doit surtout pas pouvoir déchiffrer les  fictions  qui nous gouvernent; il a seulement besoin de distractions pour faire écran aux insatiables qui carburent au profit et massacrent la planète. Dire que pour certains détraqués la guerre signifie « gigantesques profits »!

Mais revenons à ce coin tranquille de la planète. Qu’adviendra-t-il de la cathédrale de Rimouski en réalité? Aucune idée. Ce ne sera pas facile de trouver des commandites, parce qu’une « cathédrale Telus-Desjardins  » ou une « basilique  Financière Sun Life », ça serait  vraiment « weird ». Non?

 

 

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