
Poetry is « no poverty »
– Judith Malina
Dans notre petite ouate occidento-moderne, il est un peu trop facile de porter le sceau de l’artiste engagé. Il suffit parfois de quelques mots soufflés dans une chanson pour le moins conservatrice pour que les agents de marketing de l’industrie happy fews du « Quebec sing (s)inc » vous vendent avec le sticker « engagé ». Mais il me semble que les choses sont plus complexes. Et si l’ami Marshall avait raison? Si le message était le média qui était le message – et vice-versa? Constatons de visu que les Cowboys Fringants n’ont pas fait la révolution ni séparé le Québec en scandant des péquisteries sur la même note.
S’engager à coup de slogans publicitaires et de phrases toutes faites est une activité bien mince de conséquences, peu risquée, banale. En utilisant les méthodes du marketing, le chanteur dit « engagé » emprunte, le plus souvent, les armes de l’ennemi pour rejoindre un public cible de gens qui pensent comme lui. Comme engagement, on a vu mieux.
Pour moi, l’engagement appelle un risque. S’engager, c’est investir sa personne. On peut grossièrement distinguer deux formes de risques qui y sont liées : le risque esthétique et celui sur la sécurité de sa personne. Si le premier est sans danger physique, il peut toutefois nous mettre en porte-à-faux avec les principes des vendeurs de culture et nous faire passer plusieurs années dans les chambres noires de l’ignorance médiatique. Car les médias le savent qu’il existe des musiques expérimentales, audacieuses. Ils les ignorent volontairement pour ne pas changer les perceptions du public, poissons de cet équilibre marchand qui tient critiques, musiciens, diffuseurs et réseaux bien en place, au soleil.
Le second risque, plus sensible au toucher, semble inimaginable dans nos sociétés civilisées, mais existe bel et bien, non pas par la violence physique, mais par l’exclusion et la perte de jouissance organisée.
Le cas du collègue Frédéric Dubé à Radio-Canada pourrait être évoqué, car il semble que, depuis que l’on travaille à aire ouverte à la société d’État, il soit plus facile de montrer la porte.
Autres lieux autres mœurs
Slovénie, années 90, trois artistes (Emil Hrvatin, Davide Grassi et Ziga Kariz) ont falsifié leur extrait de naissance afin d’obtenir des passeports au nom de Janez Jansa, alors premier ministre conservateur slovène. Si les critiques à l’égard du premier ministre étaient formellement interdites et sévèrement punies, on pouvait dire ce que l’on voulait des autres Janez Jansa.
Moscou. 2013. Milo Rau et son International Institute of political murder présente The Moscow Trials, une mise en scène des procès faits aux artistes par le régime entre 2003 et 2012. Les acteurs sont les véritables créateurs accusés (dont une Pussy Riot), les avocats de la couronne, des journalistes de la droite conservatrice et le jury est sélectionné dans la population, comme cela est l’usage. Rau sera arrêté devant le théâtre le soir de la première (arrangé?). Les artistes seront acquittés par le jury.
États-Unis. 1970. Un artiste fait le tour des classes d’une école secondaire avec un ami vietnamien et un fusil. Il demande aux gens : « Vous voulez le tuer? Voici une arme. Vous êtes prêts à payer des taxes pour tuer des Vietnamiens, je vous propose d’éliminer les intermédiaires. »
Ces quelques exemples montrent un engagement direct plutôt que le plat marketing de l’engagement qu’on nous sert à outrance.
À ne pas prendre de risque, à écouter les marchands faire d’eux des produits nichés pour public ciblé, les artistes deviennent les collaborateurs de la machine à finance qui écrase les cultures et impose ses lois. Engagés? Oui. Engagé dans le génocide des cultures. Le consensus et la culture du bonbon sont les armes de destruction massive qui menacent l’inventivité et la capacité d’étonnement. Le grand ronflement de la culture québécoise, son excès de pop culture et de stratégies de marketing fait que notre imagination fonce tout droit dans le mur de la platitude avec la collaboration des artistes engagés.
Le « fashonisme » a remplacé le fascisme dans le contrôle des formes artistiques. Il est moins violent mais pernicieux et, comme l’autre, il mène à une victoire du consumérisme individuel et à la fin à des utopies humanistes et démocratiques. Aux élections, votez donc pour Blade Runner.