Exclusivité Web

La vision d’un dragon!

Par Sébastien Corriveau le 2017/12
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La vision d’un dragon!

Par Sébastien Corriveau le 2017/12

J’ai ramassé le livre Lettres à une jeune entrepreneure dans la section des nouveautés de la bibliothèque de Mont-Joli. J’étais venu chercher des livres pour enfants et le Protégez-Vous spécial « lave-vaisselle », mais quand j’ai vu la face de Taillefer qui me regardait, je n’ai pas pu résister. Je l’ai pris en me disant « ouais, belle autopromotion que tu viens de te payer là! » Eh bien non seulement je l’ai pris, mais je l’ai lu, ce qui est rare. Les bibliothécaires de toutes les bibliothèques publiques que je fréquente doivent trouver que je lis beaucoup, mais il n’en est rien : je ne regarde que les images. 

Premièrement, c’est édité su’ Québécor. Deuxièmement, tout est écrit au féminin. On dirait qu’il a fait exprès pour s’attirer des bonnes critiques. Dès les première pages, je ne sens pas que c’est vrai, y a un quelque chose de forcé à parler comme ça. Mais on s’y fait. Troisièmement, je vais arrêter de numéroter ma chronique. 

La première lettre parle d’indignation. Indignez-vous! Wow. C’est fort. Je vis beaucoup de révolte et de contestation autour de moi, c’est souvent mal vu, et j’aime me faire dire qu’au contraire, il faut le faire! Je baigne dans le monde de l’indignation depuis le début de mon cégep, et je flirte encore avec. Alexandre Taillefer parle de l’importance de prendre la parole, il nous incite à combattre les injustices, à travailler pour améliorer ce qu’on croit juste. Dans la même lettre, il nous raconte qu’il est allé à l’école privée, que son père vendait des assurances à tous les bigs de l’industrie du cinéma et qu’il a été promené sur les genoux de Michel Trudel de chez Mel’s, qui lui a plus tard donné un de ses premiers contrats. Mettons que ça commence mieux une vie que « Sept ans tout croche dans une ruelle de Limoilou à essayer de piquer une frite à une mouette parce que j’ai faim ». On apprend à connaître le personnage.

Finalement, après une couple de lettres pis une couple de verres d’eau, j’avais une bonne envie de pisser. C’est assis sur la toilette (féministe à ma manière) que je me suis rendu compte que ce livre-là, c’est pas mal plus une autobiographie que des lettres écrites à sa prochaine. J’ai commencé à avoir l’idée d’écrire une critique dans Le Mouton Noir, pis je me suis dit que ce serait bon de prouver hors de tout doute raisonnable que le monsieur sur la couverture prévoit se lancer en politique et que je pourrais l’annoncer comme une prémonition dans les pages de ce journal. Eh bien non. Alexandre m’a coupé l’herbe sous le pied dans la lettre no 8 : « Et la politique? ».

Y a vraiment pas grand chose dans ce chapitre qui peut servir à quelqu’un qui lit le livre dans le but de devenir entrepreneure (au féminin). Par contre, on y fait de belles découvertes. Premièrement, bien qu’Alexandre ait fait le tour du monde, il ne connaissait que très peu le Québec jusqu’à récemment. Après son passage à l’émission Les Dragons, il a été invité dans toutes les chambres de commerce du Québec et il se vante d’avoir maintenant des amis partout dans la province, ce qui lui servira lorsqu’il se présentera en politique provinciale, dit-il. Super! On va avoir un Montréalais qui est sorti de chez lui pour se faire des chums dans toutes les chambres de commerce comme ministre du développement économique ? Yeah! Ça va faire ben différent des années libérales. On a tous hâte de voir la Gaspésie fermer pis se transformer en camp de travail.

En gros, Taillefer trouve que les partis politiques ont beaucoup trop d’importance, que le système de vote devrait inclure un élément proportionnel, et il n’est pas prêt à se lancer en politique tant que ces deux éléments ne seront pas réglés. Il dit aussi que la CAQ est trop à droite, que QS est déconnecté de la réalité même s’il y a des idées auxquelles il adhère, que Jean-François Lisée est un ami mais que le PQ est trop identitaire et pas assez inclusif avec les nouveaux arrivants. Il trouve que l’indépendance est une bonne idée, mais il dit qu’il est progressiste avant d’être indépendantiste. Je le rejoins sur ce point. Quand il parle du Parti libéral, il est beaucoup plus volubile. Taillefer dit qu’il y a de bons ministres chez les Libéraux, mais la gangrène est pognée jusqu’au cou alors il faudrait amputer sérieusement le parti, mais c’est un bon parti qui a eu de très bonnes idées avant Jean Charest. Bref, à mon avis, Taillefer va laisser Couillard se péter la gueule, et il va ramasser les miettes du Parti libéral pour se repartir un peu plus à gauche en promettant une révolution tranquille 2.0. Un genre de PKP qui va être parachuté à la tête du parti, mais Taillefer ne lâchera pas comme PK. Je dirais même que je ne trouverais pas ça désagréable d’être ministre dans son gouvernement. On aurait ben du fun ensemble.

Alexandre Taillefer parle beaucoup de redonner à la communauté par l’entrepreunariat. Il présente un modèle du genre : tu crées une entreprises, tu crées des bonnes jobs, pis après ça, c’est important de se consacrer à d’autres causes. Malheureusement, il ne parle jamais de coopératives ou d’OBNL (organismes à but non-lucratif), qui sont des formes d’entreprises sociales. On peut très bien être un entrepreneur tout en démarrant une coop! Oui, c’est légal de faire des profits dans un OBNL! On ne peut pas faire tout ce qu’on veut dans ces modèles, mais quand on sait que « L’objectif d’une compagnie est d’exploiter une entreprise afin de réaliser des profits. Ces profits peuvent ensuite être réinvestis dans la société ou répartis entre les actionnaires sous forme de dividendes », il me semble que ce n’est pas le meilleur modèle pour le XXIe siècle, non?

Il y a de belles choses dans ce livre, notamment quand il affirme que les gens d’affaires ne sont pas tous les mêmes, quand il décrit certains types « d’hommes » d’affaires et qu’il les rabroue, quand il dit qu’il est anormal qu’une femme doive quitter un 5 à 7 quand les hommes ont pris plus de deux verres d’alcool, quand il dit que ces choses doivent changer. Par exemple, lorsque Alain Bouchard de Couche-Tard dit qu’il ne peut payer ses employés 15 $ l’heure sinon il devra fermer certains magasins, Taillefer lui dit : « il est inacceptable que […] la survie d’une entreprise repose sur les conditions de travail précaires de ses employés. Je ne peux pas accepter que des employés, aujourd’hui, reçoivent en toute légalité une rémunération qui les situe sous le seuil de la pauvreté. » Il propose aussi l’idée de fiches informatives pour entreprise, à l’image des fiches nutritionnelles qu’on trouve sur la nourriture. On pourrait y trouver facilement des données objectives sur une entreprise, par exemple une note sur l’équité salariale, l’écologie ou la fiscalité 

La réflexion sur le taux de chômage m’a ouvert un œil, après que le taux de chômage du Bas-Saint-Laurent ait atteint des seuils records ces derniers mois. Si le taux de chômage est extrêmement bas au Québec présentement, ce n’est pas parce que les Libéraux peuvent se péter les bretelles en deux, mais plutôt parce qu’il y a pénurie de main-d’œuvre : départs à la retraite des baby-boomers, faible taux de natalité des dernières décennies, etc. Il explique aussi que le gouvernement devrait investir massivement en éducation, mais ce n’est pas payant politiquement. Il est plus facile d’investir dans le béton parce que le retour est plus rapide (création d’emplois, revenus par taxes et impôts), mais avec une vision à long terme, il est beaucoup plus payant d’investir en éducation. Même chose avec la santé, où il dit à peu près la même chose que moi : on dépense beaucoup trop à régler les bobos et pas assez en prévention. Yo. On a besoin d’avoir plus de ce discours dans notre espace public. 

J’ai aussi appris, la même journée, par la bouche du livre Soigner Aimer de Ouanessa Younsi, que le taux de suicide et le taux de chômage sont corrélés. Ça m’a giflé comme un bumper de pick-up sur le boulevard Laure à Sept-Îles. Et c’est vrai, j’ai trouvé les sources dans les internets.

Mes top citations

« Dans l’histoire, tous ceux qui ont prétendu administrer l’État comme on administre une entreprise privée ont lamentablement échoué. » (p. 90)

« le président des États-Unis, Donald Trump, […] est certainement […] un modèle à suivre! » (p. 91) #CitéHorsContexte (il faut ajouter « n’ » et « pas »)

En conclusion, c’est écrit gros, c’est facile à lire, c’est un must-have pour toute collection d’autobiographies, j’en recommande la lecture à ma blonde qui veut se partir une ferme familiale à échelle humaine et je recommande à mes amis anarchistes de passer à leur bibliothèque locale, de trouver le livre en question et d’aller le cacher quatre rayons plus loin.

Dans un prochain billet, nous ferons une analyse exhaustive des voyages en Chine d’Alexandre Trudeau qui écrit son nom de famille beaucoup trop gros sur la couverture et sur la tranche du livre. 

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