
Pour le Québécois moyen (dans mon genre), le retour de la belle, et courte, saison est synonyme de deux choses : la joie du plein air et le temps des festivals.
Et vous? N’avez-vous pas déjà atteint cet état de transcendance laiteux que connaît l’homme blanc d’Amérique lorsqu’il peut enfin se décoller de ses snowboots et palper l’herbe verte de sa plante de pied?
N’avez-vous jamais laissé l’inhibition de votre cerveau reptilien relâcher sa tension sociale et vous faire taper des mains dans un festival populaire, tel un singe devant une banane?
Moi j’ai déjà donné. Quel sentiment de légèreté n’ai-je pas vécu la fin de semaine dernière alors que je visitais, pour la prime fois de l’an, avec femme et enfants, l’un de nos splendides parcs urbains. La narine frétillante, le poil au vent, le dormeur du val, je devenais l’homme sauvage du temps jadis qui communiait avec la nature. Cet état de jouissance contemplative me reprend chaque printemps et dure chaque fois quelques longues minutes, soit jusqu’à ce que le cri intempestif d’une bête me rappelle la nature de l’humain, si vaniteux et assoiffé de pouvoir et de violence, obligé de trimballer dans ses errances solitaires l’incarnation de son pouvoir fantasmé, la métaphore sur pattes de son ego refoulé et de sa vulgarité sociale : le chien. Me tirant violemment hors de ma rêverie, chaque mois de mai s’achève sur l’image d’une de ces bêtes furieuses, s’enfuyant avec, dans la gueule, la jambe métaphorique de nos femmes et enfants. Finis les parcs!
Et les festivals?
Ils sont commencés. Déjà, en plein juin, Montréal fut tout enflée de musique vaguement française dans le cadre des Francos, et de pop dérivée des musiques du monde dans le cadre du Festival de Jazz. Évidemment. Pour entendre du jazz, il aurait fallu payer. Cela va de soi. Un des rôles des festivals n’est-il pas de montrer aux pauvres que certaines musiques ne sont pas pour tout le monde?
En gros, on remarque deux types de festivals : les festivals spécialisés et les festivals généralistes.
Les premiers réunissent des gens qui se ressemblent beaucoup, qui s’identifient et se valorisent par leurs goûts (parfois douteux). Il est donc très important qu’ils aiment la programmation (identification oblige), mais pas les concerts (il faut bien montrer sa connaissance et son sens critique). Ayant moi-même des goûts musicaux proches de l’astrophysique nucléaire, je connais bien ces festivals et leurs 15 premières rangées de public blasé, ronchonnant derrière un carnet. Il aurait tant aimé aimer le concert, mais il est bien au-dessus de ça.
Parmi ces festivals spécialisés, les plus drôles sont sans nul doute ceux qui se disent pros de l’alternative, de la marginalité et qui débordent pourtant de consumérisme de bon aloi et servent une musique conservatrice mais hip; un Jésus à piercing. Après Osheaga et ses millionnaires de la différence, nous aurons ainsi droit cet été au premier festival alternatif organisé par le baron Alexandre Taillefer. Ainsi l’aristocratie hip pourra se brasser le popotin alternatif sur de la musique consensuelle à costumes dans le quartier le plus embourgeoisant de l’heure : le Mile Ex.
À l’autre bout du spectre, on retrouve le festival spécialisé en has-been (le FEQ en tête) où l’on choisit les artistes au délavé de la pochette et où se réunit la fine pointe du nostalgique à cuirette.
Du côté des festivals généralistes, c’est beaucoup plus complexe, et moins drôle. Ceux-là portent tous des noms plus ou moins reliés à la musique et proposent des programmations quelque peu similaires qui vont du tir de tracteur à Éric Lapointe. Qu’ils soient de blues, de rock, de folk, du carton ou de la fenaison, ils proposent, peu ou prou, tous les mêmes artistes, ceux qui viennent de sortir un disque, qui paient un agent en heures supplémentaires ou, mieux, qui ont lancé un disque le jour de la finale de La Voix, émission dans laquelle ils étaient juges, mentors, participants ou producteurs.
Mais nous, vaillant public, nous sommes en droit de nous demander :
Car, soyons honnêtes! Ces fêtes populaires n’ont pas pour but de nous faire apprécier la finesse de la création des musiciens, mais bien de laisser place au décervelage public, à l’assouvissement du besoin animal de fête qui pue la pisse. Alors quoi? Ne vaudrait-il pas mieux claquer la porte au nez de ces agents d’artistes mal enfournés, laisser tomber la musique et offrir, avec ces cachets astronomiques, une belle beuverie collective et gratuite aux festivaliers?
Un petit jeu
Puisque la musique n’a pas tellement d’importance, laissons-nous aller à un petit jeu de substitution et remplaçons le mot « musique » par « médecine » dans le nom de quelques festivals d’ici : festival de médecine de rue, festival de médecine baroque, festival de médecine expérimentale, festival de médecine agressive, festival de médecine émergente, festival de médecine populaire, festival de médecine alternative, festival de médecine d’ambiance, sans oublier les rencontres de médecine spontanée.