
Musicien, mathématicien et militant à l’inspiration dense et au talent certain, Rémy Bélanger de Beauport maîtrise à bien des égards l’art du contre-pied. Installé depuis peu dans la capitale nationale et de retour d’une année de voyage à Berlin, il se consacre à présent exclusivement à la musique. Impliqué notamment dans le Grand groupe régional d’improvisation libéré de Rimouski, il a récemment fondé l’Ensemble de musique improvisé de Québec.
D’éclisses? D’éclisses
Soit l’armature en bois qui, reliant la table d’harmonie au dos de l’instrument, constitue la caisse de résonance du violoncelle. Plus largement, une éclisse désigne une pièce d’assemblage destinée à unir plusieurs parties d’un ensemble mécanique ou organique.
Dès lors, quel meilleur titre que celui-ci pour désigner l’audacieux album de Rémy Bélanger de Beauport? Paru en 2016 sous l’étiquette Ambiances Magnétiques, D’éclisses est un patchwork organique de performances captées méticuleusement lors de longues séances d’improvisation dans un studio d’enregistrement berlinois.
Sous bien des aspects, la démarche dont résulte cet album est singulière. Aucune composition, une performance qui tend à l’originalité la plus pure, une quête de sincérité dans l’attention portée au geste, à la respiration dans la production de textures sonores surprenantes et originales.
À la première écoute, l’album pourra être perçu comme une épreuve de persévérance tant les sonorités sont brutes et le jeu décomplexé dans sa radicalité. L’affranchissement des codes paraît total, les textures produites, issues d’un violoncelle préparé sur certaines prises, sont abrasives et crues à l’oreille.
Les pièces s’enchaînent dans un enchevêtrement de sonorités abruptes contrevenant aux attentes qu’il serait légitime d’avoir d’un violoncelle. Plutôt qu’une interprétation conventionnelle, il nous semble assister à un bras de fer, une étreinte brutale mais néanmoins sensuelle du musicien avec son instrument. Le bois craque, le musicien s’essouffle, épuise son geste, l’instrument semble lutter pour son intégrité sonore. C’est viscéral, instinctif, ça s’écoute avec le bas-ventre, ça bouscule aussi, souvent.
De par sa proposition, D’éclisses se pose comme un antidote, un électrochoc destiné aux encéphalogrammes plats des albums surproduits. Le travail de postproduction demeure très léger et fait la part belle au soin apporté aux textures sonores. Les pistes originales demeurent intègres, une écoute au casque donnera l’illusion d’une étonnante proximité avec l’instrument.
Démarche hermétique? Œuvre élitiste? Ou album émancipé qui se démarque, de par son exigence, de la complaisance à laquelle nous habituent trop souvent les musiques actuelles? Aux dires de l’auteur, l’album se destine à tous, familiers de la musique concrète ou simples quidams curieux d’étendre leur palette d’expériences auditives.
Album âpre aux sonorités le plus souvent abrasives, s n’en reste pas moins un album concept abouti et cohérent. L’expérience de l’auditeur gagnera en cohérence et en relief pour peu qu’il considère l’écoute des treize pièces comme autant d’occasions de saisir la musique, avant tout, comme une expérience immersive de premier plan.
En conclusion, D’éclisses est un album capable d’ouvrir de nouveaux horizons sonores à condition d’accepter le contrat de base : une écoute active et exigeante, une nage à contre-courant dans les eaux agitées de l’abstraction.