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Le malaise de l’intellectuel de « l’idiot-visuel »

Par Eric Normand le 2017/05
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Le malaise de l’intellectuel de « l’idiot-visuel »

Par Eric Normand le 2017/05

« Y doit être intelligent, je ne comprends pas ce qu’il dit. » On a tous déjà entendu cette remarque. Cet aveu de défaite désolant sonne comme une vieille farce plate mais fait, malheureusement, encore la joie de quelques personnalités publiques, spécialistes en tout, moralistes, prétendus intellectuels ayant en commun un ego démesuré ainsi qu’une disposition à se donner en spectacle. Je dois vous dire que cela m’ennuie.

Je me retrouvais, l’autre jour, dans ma cuisine, au centre d’un panel radiophonique où l’on pouvait ouïr une poignée de vedettes, la bouche ouverte (ça s’entend) devant la verve de Mathieu Bock-Côté. Subjugués, ils en vinrent fatalement à la fameuse remarque : « Tu dois être fucking intelligent, je ne comprends fuck all », ou quelque chose comme ça. Ainsi flagorné, MBC continuait, s’excitait; sa voix modulait de plus en plus; sa bouche s’humectait de la salive sécrétée par cette envolée. Son si apparent amour de la rhétorique nous faisait presque oublier les raccourcis idéologiques qu’il empruntait. Il exprimait alors, tout en apparat, le fossé qu’il creuse avec Éric Duhaime entre « les deux gauches du Québec », entre les patriotes à tuques bleues tricotées et les communistes fantasmés inclusifs et orange.

Quelques semaines plus tard, lors de la « Journée mondiale de l’art oratoire », on l’invita, simplement pour l’entendre parler. Carrément. Et Mathieu leur montra avec joie son organe oratoire.

BHL entarté

Le cas Bernard-Henry Lévy est fort intéressant. Philosophe superstar (has been?) en France, BHL se retrouve, à une époque, sur tous les plateaux de télé. Profitant de l’autorité que lui donnent son intelligence, son bien parler, son apparence, il va vendre la guerre internationale comme l’outil d’un nouvel humanisme. Dans l’esprit de plusieurs, le tour est joué : BHL ne parle pas de discuter, mais énonce des idées claires, des opinions (biaisées) articulées, il a l’air gentil, propre sur lui : allons en guerre! Mais les choses ne sont pas aussi simples. Cette approche de la « philosophie » très directive n’est rien d’autre que de la propagande. On ne prend pas ici le pouls des opinions des citoyens, mais on leur en impose une, venue d’une minorité, afin de la faire se répandre chez le peuple.

Pour paraphraser Jacques Rancière, nous pourrions dire qu’ils commettent ce crime de vanité dès le début par leur posture : en se positionnant comme « intellectuels », ils annoncent que leurs idées valent plus que celles des autres, que le spectacle prévaut sur l’idée. Par cette posture « pole position », ils justifient leurs dérives et défendent les intérêts de minorités privilégiées.

L’entartage de BHL est un moment très significatif, et l’humoriste Pierre Desproges l’a bien souligné. Aussitôt crémé, le beau philosophe à coiffure « fixatisée » se transforme en vulgaire et violent personnage. « La vraie nature des cuistres », dira Desproges.

Parfois je me demande comment réagiraient nos quelques penseurs médiatiques à l’assaut de la crème chantilly. Je dois l’avouer, si je crois que les philosophes sont essentiels dans une société ouverte, ce n’est certainement pas pour casser des gueules.

 

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