
« Ici, c’était le quartier maghrébin », pointe Baqer Massad. À travers l’écran de poussière créé par la tempête de sable, nous observons l’esplanade du mur des Lamentations. « Une des premières choses que les Israéliens ont faite en 1967, c’est réaménager l’espace autour du mur. En quelques heures seulement, toutes les maisons du quartier ont été rasées. »
1967, c’est l’année où Israël annexe illégalement la Cisjordanie et la partie orientale de Jérusalem. Malgré l’opposition de la communauté internationale, Israël désigne unilatéralement la « Jérusalem réunifiée » comme sa capitale. Peu de temps après, Israël modifie le zonage de la ville et un maigre 13 % est conservé pour le développement de la communauté palestinienne. Sur ces 9,2 km², s’entassent aujourd’hui 230 000 Palestiniens dans des quartiers étouffés par les colonies israéliennes qui poussent autour.
La maison de Baqer et de sa famille, construite illégalement, risque à tout moment le même sort que celles de l’ancien quartier maghrébin. Comme tous les Hiérosolymitains qui désirent construire ou rénover leur maison, Baqer aurait dû obtenir un de permis de construction auprès des autorités israéliennes. Il n’avait qu’à entreprendre le « processus démocratique et ouvert à tous les citoyens de la ville » et s’assurer de remplir toutes les conditions. En voici quelques exemples :
— Prouver que l’on possède le terrain pour lequel le permis est demandé. Depuis 1967, l’enregistrement de terres est interdit pour les Palestiniens.
— Ne pas faire augmenter la densité du patrimoine bâti au-delà d’une certaine limite. Les quartiers palestiniens de Jérusalem dépassent déjà presque tous cette limite.
— Prouver que le terrain pour lequel le permis est demandé est inscrit au registre des biens immobiliers de la Ville. Seulement 3 % de la superficie des quartiers palestiniens est inscrite à ce registre.
— Avoir des infrastructures municipales adéquates sur le terrain pour lequel le permis est demandé. Les infrastructures et services municipaux, pour lesquels les Palestiniens paient des taxes, sont absents ou désuets.
— Payer les frais. Les coûts associés à l’obtention d’un permis de construction pour un bâtiment de 200 m² peuvent atteindre 38 000 $1, coût exorbitant pour les Palestiniens de Jérusalem, dont 65 % vivent sous le seuil de la pauvreté…
Les Palestiniens se voient donc dans l’obligation de construire illégalement leurs maisons. En conséquence, 40 % des bâtiments de Jérusalem-Est risquent la démolition. Entre 1967 et 2009, Israël a démoli à Jérusalem-Est plus de 2 000 « structures » appartenant à des Palestiniens et, seulement en 2016, 73 maisons.2
« L’avis de démolition n’a pas à être remis en main propre au propriétaire, raconte Baqer. Généralement, les familles apprennent que leur maison sera détruite lorsqu’arrivent les bulldozers, la plupart du temps tôt le matin. Une dizaine de véhicules militaires encerclent la maison, laissant à peine dix minutes à ses habitants pour en sortir. Puis, les bulldozers commencent le travail devant leurs yeux impuissants. » Après la démolition, la famille reçoit une amende pour avoir construit une maison sans permis, ainsi que la facture de la démolition et du déplacement des militaires, une dette qui peut prendre des années à rembourser.
Sans maison et sans espoir d’obtenir un permis pour la reconstruire, la plupart des familles décident de quitter Jérusalem, perdant du même coup leur statut de résident permanent. Ce statut a été créé après l’annexion de 1967, lorsque les 66 000 Palestiniens qui vivaient alors à Jérusalem-Est se sont vu offrir la citoyenneté israélienne, moyennant allégeance à Israël. Ceux qui ont refusé ont plutôt obtenu ce statut de résident permanent. Il s’agit du seul cas où un pays occupant accorde un statut d’étranger à la population indigène.
Baqer nous montre sa carte d’identité bleue qui témoigne de ce statut particulier. En raison notamment de son travail, qui l’amène à se déplacer sur l’ensemble du territoire, conserver son statut de résident est une nécessité : « Grâce à ma carte, j’ai une bien plus grande liberté de mouvement que les Palestiniens d’Israël et de Cisjordanie. » Les premiers, qui ont abandonné leur identité palestinienne, se voient interdire l’accès aux territoires occupés (trop dangereux, dit-on) et les seconds ne peuvent circuler en Israël sans un permis spécial.
Malgré son nom, ce statut est loin d’être permanent. Il peut être révoqué à tout moment et les Palestiniens qui le possèdent doivent continuellement prouver que Jérusalem est au « centre de leur vie ». Pour le vérifier, des inspecteurs peuvent se présenter à l’aurore pour vérifier que le lit est occupé, que la brosse à dents est humide et que les factures municipales sont bien acquittées. Entre 1967 et 2008, plus de 14 000 Palestiniens ont perdu leur droit de résidence.3
Que répond Israël lorsqu’on l’interroge sur la démolition des maisons palestiniennes? Que ceux qui ont brisé la loi étaient au courant des conséquences. Selon Baqer Massad, la réponse résiderait plutôt dans cette politique municipale, adoptée en 1973, de maintenir un ratio démographique de 70 % d’Israéliens et de 30 % de Palestiniens.
1. Meir Margalit, No place like home : house demolitions in East Jerusalem. Israeli Committee Against House Demolitions, 2007, 55 p.
2. B’TSELEM, The Israeli Information Center for Human Rights in the Occupied Territories, http://m.btselem.org
3. N. Alyan, R. Sela et M. Pomerantz, Policies of Neglect in East Jerusalem. The Association for Civil Rights in Israel, 2012.