Champ libre

Nelly

Par Clémentine Nogrel le 2017/03
Champ libre

Nelly

Par Clémentine Nogrel le 2017/03

Nelly est un biopic librement inspiré de la vie de Nelly Arcan. Réalisé et scénarisé par Anne Émond (réalisatrice et scénariste de Nuit#1 et de Les êtres chers), il est sorti en salle au mois de janvier 2017. Le film propose un schéma narratif original sous forme de courtes scènes retraçant différents moments de la vie et de l’œuvre de Nelly Arcan.

Anne Émond propose quatre personnages : Nelly la star, Nelly l’amoureuse, Nelly l’écrivaine et Nelly la putain. L’héroïne apparaît aussi enfant, dans une préadolescence perturbée par des questions de séduction. Comme la réalisatrice n’a pas fait le choix d’une chronologie classique, allant du passé au futur, les multiples personnages sont jusqu’à un certain point survolés, et le spectateur n’a guère le temps de découvrir la complexité et la pertinence des différentes Nelly jouées par Mylène MacKay, pourtant élégante et délicate. La profondeur des personnages est en quelque sorte délaissée au profit d’un choix narratif néanmoins intéressant.

La difficulté de s’attacher véritablement aux personnages crée un obstacle, notamment à cause des seconds rôles trop lisses, comme le psychanalyste qui, dans Putain, premier roman de Nelly Arcan, représente une figure différente de celle des autres hommes. Il apparaît toutefois dans le film comme un énième homme à séduire.

Les différentes Nelly sont filmées comme si elles n’étaient que « putasserie », comme le dit l’auteure elle-même dans Putain : « c’était le début de la fin, ma décadence vers la putasserie ». On trouve en effet dans le film de (trop) nombreuses scènes de sexualité, au point où on peut se questionner sur le public ciblé par le film qui, je trouve, suggère un regard très masculin. Certes, la sexualité fait partie des thèmes majeurs de l’œuvre de Nelly Arcan, mais à l’écran, la rencontre avec le personnage, pourtant si pertinent, s’en voit sacrifiée.

La sexualité traverse l’écriture de l’auteure par sa pensée, ses métaphores. Or, il n’y a rien de métaphorique dans les scènes du film et on perd donc la manière propre à l’artiste d’évoquer les questions existentielles qui la taraudent, comme son immense chagrin face à son incapacité de vivre la beauté des autres femmes (et du monde!), sa relation avec son père et sa mère, tous deux absents dans le film, relation pourtant fondamentale pour bien comprendre le personnage.

Le personnage de Nelly l’amoureuse s’illustre dans une relation de couple malsaine, tournant principalement autour de la sexualité, de la drogue et de vagues crises dont on peine à comprendre la cause. Dans l’œuvre de Nelly Arcan, notamment dans son deuxième roman, Folle, la relation de couple est abordée de façon complexe; nous y trouvons une réflexion plus élaborée sur la compétition entre les femmes, la place de la pornographie dans la vie intime du couple, le suicide, entre autres.

Dans ce film, j’ai souvent eu le sentiment que les personnages évoquant Nelly étaient victimes d’une longue plainte qui ne s’achèvera que dans la scène finale, pour le coup réussie et délicate, suggérant la mort de l’auteure : dans un plan empreint d’un flou maîtrisé, Nelly avance dans son appartement, bercée par la lumière du soleil, vers une porte qu’elle ouvre pour disparaître.

Anne Émond prétend s’être inspirée librement de la vie et de l’œuvre de Nelly Arcan. Toutefois, je crois qu’il incombe au film de susciter la curiosité du spectateur et de l’inciter ainsi à se plonger dans l’œuvre nécessaire et percutante d’Arcan, cette étoile filante de la littérature québécoise.

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