Cette année marque le 250e anniversaire de la disparition de Toussaint Cartier, mort le 30 janvier 1767. Le texte le plus long jamais consacré à l’ermite est resté inédit à ce jour. Il s’agit d’une fiction de Louis-Édouard Bois.
Ce prêtre catholique (1813-1889) était l’un des plus grands érudits de son temps qui légua à sa mort une bibliothèque de 5 000 volumes. Il n’obtint de reconnaissance pour ses « laborieuses recherches » que sur le tard : doctorat honorifique de l’Université Laval en 1883 et élection à la Société royale du Canada en 1885.
Dans le Fonds Bois conservé au Séminaire de Nicolet se trouve un manuscrit de 82 pages et 14 chapitres. Contrairement à ses autres travaux publiés ou laissés inédits, ce texte est une fiction qui relate la vie de l’ermite en faisant appel, à défaut de s’appuyer sur des archives, à l’imagination de son auteur.
L’abbé prétend par ailleurs avoir consulté d’anciens Rimouskois, et sa fiction est donc aussi inspirée par la tradition orale des années 1830 et 1840, à l’époque où il était vicaire à Rivière-du-Loup et à Saint-Jean-Port-Joli et où il fit la connaissance de Philippe Aubert de Gaspé auprès de qui il développa son goût de l’histoire.
À cette mémoire collective, l’abbé doit l’idée que l’ermite est un descendant du capitaine malouin Jacques Cartier, élevé par son grand-père qui lui inculque le culte de son illustre ancêtre. Mgr Signay, dans une note manuscrite de la fin des années 1830, avançait déjà ce lien de parenté, tout comme Joseph-Charles Taché, dans un article de 1846, qui supposait l’ermite « cousin de Jacques Cartier ».
Pour l’amener au Nouveau Monde, l’abbé romancier est obligé de lui prêter des intentions littéraires qui finiront par le perdre. Le jeune Toussaint, animé par l’ambition dévorante de réécrire en mieux les relations de voyage de son prestigieux ancêtre, refait, après lui, la découverte de l’Amérique française. Une fois en mer, il reste en panne sèche, mais ce manque d’inspiration ne suffit pas à le détourner de sa folle ambition.
Heureusement, Dieu est là qui veille et châtie l’orgueilleux jeune homme, en faisant sombrer son navire et périr les passagers, à une seule exception : « La fervente prière du romancier l’avait sauvé lui si neuf, si peu expérimenté et si peu fait à l’inclémence des temps. »
À lire cette mise en scène, on a l’impression que l’abbé parle de lui-même, de l’ambition qui l’habite et contre laquelle il cherche à se prémunir. Il semble cependant que l’érudit ait fini par céder aux sirènes de la littérature, dans la mesure où il est sans doute l’auteur du roman anonyme Le coffret ou le trésor enfoui paru en 1872.
Toujours est-il qu’une fois que Dieu sauve le jeune homme, la suite de l’histoire est nettement moins romanesque, et l’abbé romancier doit prévenir son lecteur : « Nous n’hésitons pas à descendre dans quelques détails de la vie de Cartier dans son île. On sent qu’ils devront être peu animés puisque la monotone régularité en fait tout le mérite. Sa journée, il la commençait dans la prière, il la poursuivait dans le travail et la méditation et la terminait par l’oraison. »
Faute de péripéties, Bois allonge le récit par des digressions dont il a le secret. En érudit, il énumère les évêques de Saint-Malo jusqu’à l’époque de Jacques Cartier, les ermites de la France de l’Ancien Régime qui ont ouvert la voie à Toussaint Cartier, ainsi que les missionnaires qui ont desservi Rimouski au XVIIIe siècle.
Comme l’abbé ignore les documents d’archives retrouvés par Joseph-Charles Taché en 1867, qu’il prétend écrire presque cent ans après la mort de l’ermite, qu’il mentionne la nouvelle église de Rimouski de vastes proportions (la future cathédrale) et l’Institut littéraire, le manuscrit a été rédigé entre 1855 et 1862, et plus vraisemblablement vers 1855-1856, alors que « l’aimable enfant du sol » qui a fondé l’Institut littéraire de Rimouski se trouve au loin : Joseph-Charles Taché, qui représente alors le Canada à l’Exposition universelle de Paris.
Si Bois invente un personnage à son image, son roman inédit recèle de nombreux détails qui, pour être imaginés, n’en sont pas moins bien vus. Ainsi, aux interlocuteurs trop insistants, l’abbé imagine l’ermite leur opposer une fin de non-recevoir aussi polie que sans appel : « Je m’appelle Toussaint; je suis de la Bretagne, mais je ne désire pas savoir qui vous êtes. »