
Jonathan Marchand est obligé de vivre au CHSLD Sainte-Anne-de-Beaupré, dans la région de Québec. Il dénonce les lacunes du système de soutien à domicile au Québec et veut proposer des solutions.
En 2012, à l’âge de 36 ans, j’ai été forcé d’entrer en CHSLD à la suite d’une pneumonie grave. J’ai une forme de dystrophie musculaire et je me déplace en fauteuil roulant motorisé. Depuis ce temps, je dépends d’un respirateur artificiel. J’ai maintenant 40 ans.
Au Québec, pour les gens comme moi qui ont des besoins importants, il n’existe pas de services d’assistance personnelle ou de soutien à domicile. Aussitôt qu’une personne requiert plus de 45 ou 50 heures d’assistance personnelle par semaine, elle est déclarée « trop handicapée » pour vivre chez elle, dans son milieu de vie naturel. On la dirige vers un CHSLD ou un milieu de vie substitut.
Des droits et libertés que tout le monde tient pour acquis
En CHSLD, on est pris en charge par l’établissement. On est placé sous la responsabilité de gestionnaires et de professionnels de la santé. L’environnement est conçu pour surprotéger, pour gérer la vie des résidents dans les moindres détails. La loi oblige l’établissement à tenir un dossier pour chaque individu et un « plan d’intervention ». Au sens de la loi et des règlements, on n’est plus une personne, mais bien un « patient ». Le nombre de fois où on va aux toilettes est inscrit à notre dossier et toute conversation avec le personnel risque d’y être archivée. Au diable l’intimité et la capacité de gérer sa propre vie, l’établissement en est maintenant responsable et on doit se plier à ses règles.
Ainsi, je ne peux pas créer de liens d’amitié avec qui bon me semble en CHSLD. L’employeur et l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec interdisent à tous les employés de la grande région de Québec de tisser des liens d’amitié avec moi sous peine d’être poursuivis ou congédiés.
De plus, financièrement, c’est un désastre. Je veux retourner au travail. Je suis ingénieur réseau senior en informatique, mais en raison des règles de contribution en vigueur pour payer mon institutionnalisation, 60 % de mon salaire serait consacré au loyer de ma chambre de 13 pieds sur 17 pieds, une chambre qui peut coûter plus de 1 800 $ par mois. Je n’ai pas le droit d’avoir des économies et d’investir dans mon avenir. Mon potentiel humain et économique est réduit à néant.
Je suis avec ma conjointe depuis 16 ans, mais ma vie de couple a été ravagée. Ma conjointe ne peut plus vivre avec moi. Nous sommes séparés physiquement depuis des années. Elle aussi est victime de ce régime absurde. Nos projets de fonder une famille se sont écroulés : c’est impossible en CHSLD. Le CHSLD est un endroit pour mourir, pas pour prospérer.
Dans la région de Québec, mon CHSLD était le seul établissement prêt à me recevoir. Un établissement qui se trouve à 40 minutes du lieu de résidence de ma famille et de mes amis. J’ai été déraciné de ma communauté. Je vis maintenant isolé du reste de la société. Je n’ai pas accès à des services d’accompagnement pour des sorties sociales; le transport est un gros problème dans ma région. Je suis prisonnier de l’établissement. Je n’ai pas de liberté de mouvement : ce CHSLD est le seul endroit qui peut me fournir les services dont j’ai besoin pour survivre.
La solution
Il n’est pas question que je passe le reste de mes jours à croupir dans un CHSLD. Je vais sortir d’une façon ou d’une autre. La solution pour moi et plusieurs autres passent par l’assistance personnelle ou le soutien à domicile. C’est une solution qui respecte la personne et son projet de vie. Personnellement, je ne veux pas vivre « regroupé » avec d’autres personnes en situation de handicap ou avec des personnes âgées. Je veux être un citoyen à part entière, vivre dans la communauté de mon choix et avoir une liberté de mouvement.
Je travaille sur un projet pour mettre fin à ce régime insensé. Le gouvernement nous dit constamment qu’il étudie la question et n’a toujours pas de solution. Pourtant, les solutions sont nombreuses. Je suis conscient qu’il va falloir déplacer des montagnes pour faire adopter le programme que je propose. Mais pour moi et plusieurs autres, c’est une question de survie. Par tous les moyens nécessaires, je vais regagner ma liberté.