
Le Parti pirate islandais a fait les manchettes l’automne dernier lorsque les sondages lui promettaient le pouvoir. Puis, les sondages s’étant trompés, exit les pirates. Et pourtant le « mouvement pirate » aurait mérité quelques lignes au moment où les partis populistes font des vagues.
Les pirates sont jeunes, souvent des hackers et des artistes baignés dans la contre-culture, leurs partis aussi. Le premier groupe pirate est né en Suède en 2006. Dès 2009, il devint le troisième parti suédois en termes de nombre de membres et fit élire deux députés au Parlement européen. Le mouvement s’étendit rapidement en Europe du Nord, un pirate allemand fut élu au Parlement européen, d’autres le furent dans les parlements régionaux. Ils frôlèrent les 10 % de voix dans certaines régions et purent compter 400 élus locaux. Anecdote : lors du printemps arabe de 2011 en Tunisie, un leader pirate s’est retrouvé ministre de la Jeunesse! Aujourd’hui, les pirates sont présents dans une cinquantaine de pays.
Le Web : le nouveau champ politique
Pour les pirates, le Web est devenu le principal lieu de la fracture entre les dirigeants qui savent et possèdent, le fameux 1 %, et les autres, les consommateurs, qui suivent, les mains vides. Le développement accéléré du Web n’en finit plus de bouleverser nos sociétés, et des changements majeurs s’annoncent encore : l’intelligence artificielle, « big data », etc., sans compter que ce qui arrive, c’est ce qui n’avait pas été prévu! La fracture ne fera que s’élargir…
Sur le plan économique, les pirates luttent pour un système de travail partagé plutôt qu’ancré dans la spéculation financière. Ils bataillent pour des logiciels libres et pour un accès libre aux connaissances. Ils se battent aussi contre la logique des brevets permettant aux grandes compagnies de tout breveter, y compris le vivant. Aujourd’hui, parmi les dix sociétés de la planète possédant la plus grande capitalisation boursière, on trouve déjà quatre géants du Web qui « ubérisent » la société! Pour les pirates, le Web doit devenir un bien commun.
Le Web :la lutte pour une éducation citoyenne
Le Web bouleverse non seulement l’économie et le travail, mais notre culture et nos façons de penser. Le Web n’est pas un forum mondial, mais une multitude de bulles où les algorithmes nous enferment en nous présentant un monde à l’image de nos préjugés : on n’y trouve que ce que l’on cherche. Un déluge d’images submerge toute réflexion, tout esprit critique. Chacun trouve sa vérité dans un terreau fertile pour toutes les pseudo-sciences, tous les préjugés, toutes les théories du complot et pour le simplisme. Pourtant, le Web permet aussi un accès sans précédent aux connaissances, au savoir, comme les innombrables sites d’information, d’éducation, Wikipédia, les MOOC (cours en ligne ouverts à tous), etc.
Pour les pirates, il faut utiliser les ressources du Web pour former des citoyens autonomes prêts à vivre dans une société numérique et démocratique.
Le Web : la démocratie directe
Un troisième point majeur pour les pirates est la démocratisation que permet le Web. Chacun peut s’y s’exprimer, les consultations y sont permanentes. Les pirates revendiquent donc une démocratie directe, la transparence des élus et la limitation des mandats. Pour eux, le Web permet de passer d’une société hiérarchisée à une société plus égale, réseautée horizontalement. Dans cet esprit libertaire, ils luttent aussi contre la surveillance systématique des citoyens et redoutent que la société numérique devienne celle de 1984, imaginée par Orwell.
Des questions pour l’avenir
« Changer la vie » soulève évidemment bien des questions. Quid de l’économie classique, champ privilégié des partis traditionnels? Et de la lutte pour combattre les inégalités sociales, point de ralliement des multiples gauches?
Comment contrer le formatage des esprits par le Web, alors que la publicité, les médias, la « com » ne l’ont pas attendu pour transformer la société en société du spectacle? En donnant la parole à chacun, le Web a aussi fourni de multiples tribunes aux mensonges. « Répétez cent fois un mensonge, il deviendra une vérité », clamait Goebbels, ce que les populistes de droite ont bien compris, Trump l’a prouvé cent fois.
Comment imaginer une formation citoyenne permettant une utilisation raisonnée du Web, alors que le fossé s’élargit entre le monde numérique en expansion accélérée et le monde de l’éducation où les changements d’orientation prennent une génération?
Des expériences de démocratie directe se multiplient au niveau local. Mais la démocratie du clic est-elle possible à grande échelle là où la démocratie représentative perd sa crédibilité auprès des citoyens? Les pirates parlent de « démocratie liquide1 », mais n’est-elle pas emprisonnée dans de multiples vases étanches?
Quel est l’avenir des partis pirates? Prendront-ils le relais des verts en tant que nouveaux « utopistes », l’environnement étant maintenant intégré par les grands partis?
La prédiction est difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir!
Pour la suite, tout ce qui concerne les pirates sera librement accessible sur le Web…
1. Dominik Schiener, « La démocratie liquide : une véritable démocratie pour le 21e siècle », Framablog, 23 novembre 2015, https://framablog.org/2015/12/09/democratie-liquide/.