Actualité

L’été de tous les éclats

Par Pierre Landry le 2016/07
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L’été de tous les éclats

Par Pierre Landry le 2016/07

L’été enfin cingle de tous ses feux. Partout les terrasses, les plages sont bondées. La vie coule allègrement ses heures fastes, un minimum de linge sur le corps, la légèreté de l’être irrigue les heures douces et soyeuses passées en compagnie des gens qu’on aime. On déambule, cernés de paysages formidables, nimbés de la chaude caresse d’un vent tiède qui s’immisce entre le cœur et l’âme, on arrête ici et là, on flâne, on prend le temps de vivre, on respire à l’aune des jardins qui exhalent parfois des parfums coriaces. Des grappes de kayaks se meuvent ici et là sur le fleuve, les pagaies effleurent la surface de l’eau, sèment un jardin de rides sur des ponts d’or d’une luxuriance inouïe. Les enfants érigent de fabuleux châteaux de sable sur des plages aussi blondes que leurs blondes mèches qui volent à la brise. Tout est à voir, à humer, à ressentir. La sueur perle au front de l’exubérance, la nature ne s’en peut plus de gonfler ses voiles, de se péter les bretelles, d’exhumer tout ce qu’elle a de plus riche et de plus sensible à offrir. Une voiture passe à toute vitesse dans mon rang, les vitres hermétiquement fermées. On entend à des kilomètres à la ronde le poum-poum-poum agressant jaillissant des haut-parleurs boostés qui finira bien par rendre sourd le pauvre conducteur enfermé dans son habitacle.

Dans les villes où l’asphalte cuit les semelles, les places rugissent d’une foule bigarrée qui déambule à gauche, à droite, se croise et s’entrechoque, les yeux rivés vers le ciel, aspirés par un fronton de pierre millénaire ou une gargouille qui fait saillie et découpe sa silhouette inquiétante sur un fond bleu d’azur opaque et dense. Le soir, la musique monte en trombe des scènes érigées en plein cœur des esplanades, elle surgit, fuyant par les portes grandes ouvertes des bars et des discothèques, inonde les trottoirs, les ruelles, les arrière-cours, s’insinue à l’interstice même des lèvres de deux nouveaux amants fiévreux qui profitent d’un recoin sombre et isolé pour se livrer corps et âme aux premiers balbutiements du désir. Au matin, les bistrots sentent bon les croissants frais et le café chaud, les yeux se dessillent progressivement du désordre de la nuit. Sa tasse à la bouche, on flaire une vague odeur de sexe encore engluée au bout des doigts ou sous les ongles. Plus loin, en de longs gestes calmes et précis, des Maghrébins s’affairent à nettoyer les caniveaux à la serpillière, faisant ainsi disparaître sous de longs jets d’eau les derniers vestiges de la veille, the last remains of yesterday. Le journal entrouvert sur la table dresse le tableau des plus récents atermoiements mondiaux, dont on n’a rien à foutre. La vie reprend vie peu à peu, et on sait à la chaleur des premiers rayons d’un soleil cinglant que la journée sera encore d’une inconfortable bienveillance. La place du marché s’anime peu à peu, avec son concert de parfums et de couleurs encore un peu trop agressants sous cette lumière oblique. Les enfants pataugent déjà timidement à la marge des fontaines publiques, leurs petits cris perçants inondés par les jets d’eau dont ils fuient en riant les éclaboussures.

Retour chez nous, les ruisseaux, les rivières, les lacs, le fleuve, les berges… la nature vibre à son apogée et se donne et s’offre comme un immense vivier de bonheur et d’harmonie. Mais pendant que l’on exulte ainsi dans l’insouciance et la joie, pendant qu’on se laisse bercer par la chaleur et le bien-être, quelque part, dans une tranchée, six pieds sous terre, un joint d’étanchéité commence à montrer des signes d’usure et de faiblesse, des bulles noires jaillissent à la surface, des gouttes d’une substance douteuse se mettent à suinter peu à peu, prenant de plus en plus d’ampleur et s’écoulant dans les sous-bois.

La ville vibre de tous les bienfaits de l’été et grouille d’un concert d’ethnies, qui, il y a quelques décennies à peine, s’entredéchiraient encore sur les champs de bataille. On les voit aujourd’hui se côtoyer dans la civilité et le partage, et jamais on n’eut cru que la civilisation pût atteindre un tel degré de sociabilité. Mais dans la tête d’un illuminé, un joint d’étanchéité s’est lui aussi rompu. Il regarde avec hargne la rue qui grouille d’effervescence et de bonheur sous sa fenêtre, caressant du bout du doigt la gâchette de sa kalachnikov.

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