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Trente ans de poésie, de goût, de création

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Trente ans de poésie, de goût, de création

Suzanne Lanthier et Paul Marineau nous ont reçus dans leur maison de Saint-Simon, là où ils préparent leurs gâteaux, confectionnent leur chocolat et organisent des expositions. La quête esthétique du couple d’artistes ne se dément pas depuis quarante ans, comme en atteste leur amour des belles choses. C’est peut-être en ce sens que ces passionnés de pâtisseries, ces fous d’objets de toutes sortes nous invitent à revisiter le patrimoine, non seulement à la lumière du passé, mais comme une réécriture du présent, portée par l’imaginaire, la créativité, le savoir-faire de l’artisan. Suzanne et Paul puisent ainsi dans l’héritage culturel, le transforment, le transmettent, le partagent.

Pour ces créateurs qui s’inscrivent dans le patrimoine culinaire, l’héritage culturel repose sur la notion de goût : goût de la poésie, de l’art, de l’impromptu, entre autres. Ce goût s’enracine dans un espace qui sert d’écrin à une multitude d’objets hétéroclites : vitrine des bouteilles bleu Chagall de Suzanne, théières chinoises qui se remplissent par le fond, théières anglaises au décor surréaliste; un espace, aussi, où l’on peut déguster un « petit caprice » au nom évocateur : Je pense donc je gêne, L’impromptu de l’agronome ou encore Maryse, qui prouve bien que le patrimoine se décline au goût du jour, puisque ce gâteau ne contient ni farine ni sucre, mais du chocolat amer et des framboises.

« Fashion victims » et salon de thé

Pour Suzanne et Paul, épris de beauté, liberté créatrice rime avec art de vivre. Textile, art culinaire, architecture, objets : ces créateurs ont toujours été à l’avant-garde. Ainsi, au milieu des années 1970, le couple tisse le lin, noue des liens transatlantiques, et confectionne vêtements et objets d’art. « Les tissus que nous fabriquions pour les vêtements, on les appelait des avêtements. On avait confectionné une fresque avec des chemises qu’on a baptisée Mozarde, en hommage à Mozart et aux arts. On filait le lin, mais nous tissions des fils de fantaisie. »

L’année 1984 marque un tournant important : Suzanne et Paul participent à une exposition au Salon de l’hôtellerie, à Montréal, où ils présentent leurs vêtements en lin pour serveurs et serveuses de restaurant. Même si cette production haut de gamme ne remporte pas le succès escompté, le hasard veut que le Salon accueille Jean-Jacques Berjot, producteur et fournisseur du chocolat Cacao Barry. À cette époque déjà, Suzanne et Paul s’intéressent au cacao. Leur passion et leur enthousiasme leur valent une proposition impossible à refuser : un stage de trois jours, au Québec, avec les plus grands chefs chocolatiers. Leur talent culinaire est indéniable. On les remarque. Résultat : deux séjours consécutifs chez Lenôtre, le grand maître français. Ce sera l’occasion, pour Suzanne et Paul, de sillonner l’Europe à la découverte de la tradition britannique, allemande et viennoise des maisons de thé, ces lieux de rencontre où l’on sert ce nectar accompagné de confiseries. Une idée qu’ils reprendront, eux aussi, en ouvrant salon sous leur pergola, à Saint-Simon, pour nous faire découvrir leurs créations. Précurseurs, Suzanne et Paul sont à la tête de la première terrasse de la région. « On était les premiers à avoir une machine à espresso dans le Bas-Saint-Laurent », précise Suzanne. « Pour nous, ce qui importait, c’était le plaisir d’aller sur une terrasse, de déguster un chocolat chaud, un espresso, une pâtisserie, même un verre de vin. Quand on a démarré le salon de thé, c’était pour les petits déjeuners. » Un salon de thé dont la décoration, tout en roses et verts, est inspirée par les architectes coloristes. « Ils faisaient une façade de maison avec douze jaunes ou douze roses différents, explique Paul. La recherche du pittoresque à tout prix. Nous, on disait la recherche du “cute’’ à tout prix. On est postmoderne. On s’est laissé happer par le charme du terroir et de la tradition. »

Puis, nouveau changement de cap : Suzanne et Paul ferment le salon de thé et se consacrent à la création et à la production de gâteaux, tout en continuant à s’entourer d’objets qui décorent leur boutique et sont régulièrement exposés. « On aime ça quand un objet a une histoire, un nom, quand on sait qui l’a fabriqué. »

HISTOIRE ET RURALITÉ

Ainsi en va-t-il de l’art culinaire de Suzanne et Paul : nommer les objets – ou les gâteaux –, retrouver la trace de leur histoire ou leur en inventer une pour qu’ils existent autrement que par leur forme. Croque coyote, Appalaches, Pic Champlain, des noms qui rappellent l’ancrage dans la ruralité et font écho aux identités culturelles locales. D’autres appellations sont plus poétiques et s’inspirent de l’imaginaire gaspésien. « Quand tu dépasses les Jardins de Métis, il y a des ondulations sur la mer, puis les vagues du paysan qui a fait son labour, et entre les deux, il y a la grève et le sable. C’est devenu le nom d’un gâteau : Grève sur le sable un soir. Il doit bien y avoir 197 gâteaux. » Et que dire du Nid du chasseur d’aromates, hommage à René Char. L’histoire politique non plus n’est pas en reste Aux petits caprices. Ainsi, Le chat lutteur, à Pascale Galipeau et les années chahuteuses, clin d’œil à la fille de Pauline Julien et aux chahuteurs poétiques qu’ont été la célèbre interprète de Mommy et Gérald Godin pendant la crise d’octobre, en 1970. Il s’agissait aussi de faire preuve de solidarité avec le mouvement étudiant de 2012.

À la fois créateur et conservateur du patrimoine, le couple de Saint-Simon fête cette année ses trente ans de chocolat : trente ans, trente objets, trente gâteaux, trente histoires, trente textes essentiels, un grand déballage! Suzanne et Paul proposent ainsi, au cours de l’été 2016 et de l’été 2017, d’organiser événements et rencontres publiques et, pour l’occasion, rouvrent leur salon de thé au jardin, « pour la suite du monde ».

 

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