
Les 18 et 19 mars derniers, l’UQAR recevait le premier colloque régional sur les réalités masculines au Bas-Saint-Laurent, qui avait pour titre : « Quel avenir pour les hommes en région? » Le colloque visait à faire connaître les ressources auxquelles les hommes peuvent avoir recours, à prendre connaissance des pratiques d’intervention et à s’informer des travaux menés par le collectif de recherche Masculinités et Société. L’événement voulait également souligner le chantier entrepris sur la valorisation et la reconnaissance des multiples façons d’être un homme et d’agir en région. Ainsi la notion de masculinité, cet habit des masculinistes, mise de l’avant pendant ces journées, s’est trouvée limitée à une multitude d’attributs et à une simple description identitaire de ce qu’est et pourrait être un homme tout en faisant fi des théories sur les pratiques politiques dominantes des hommes, et des théories et pratiques féministes, entre autres sur le développement régional, éléments qui pourraient grandement inspirer et dénouer le malaise, voire la peur de soi-même et des femmes, en soutenant le mouvement féministe sur des enjeux communs.
Les organisateurs du colloque ont tenu à préciser que leurs actions n’étaient pas revendicatives, mais visaient à sensibiliser les partenaires régionaux, dont ceux de la santé, et à privilégier une approche différenciée, afin de tenir compte de la particularité du vécu des hommes. La démarche se situe dans un cadre de sensibilisation sur la question des hommes sans les placer, précise-t-on, dans des rapports de dualité femmes-hommes afin de préserver le respect des différences pour une meilleure collaboration et pour l’égalité (entendre l’harmonie) femmes-hommes. Or, le refus de la dualité est une manière de se soustraire à la question historique et toujours actuelle des rapports de domination, d’assujettissement et d’inégalité des rapports de sexe qui sont au cœur même du mouvement féministe. Quand le mouvement féministe pose la question de la dualité femmes-hommes, c’est pour s’affranchir d’une conception naturaliste et reconnaître que le corps des femmes est un fait de culture et de politique. La dualité permet alors le respect de la condition humaine et une relance du débat sur des formes de dichotomie (masculin-féminin, raison-émotion, intérieur-extérieur, corps-esprit, virilité-féminité, subjectivité-objectivité, emplois féminins/emplois masculins, homme sujet politique/femme objet de politique, etc.) qui placent encore largement les hommes dans une situation de pouvoir. L’approche individualiste sur la question de l’égalité et de la condition des hommes, privilégiée dans ce colloque, ne permet pas de prendre en considération la dimension politique et identitaire territoriale, alors que les hommes sont majoritairement présents dans les instances décisionnelles locales, régionales, nationales et même mondiales. En évitant le débat sur la dualité, la recherche sur les masculinités réduit les réalités masculines à des problèmes individuels (manque de ressources, services de santé non adaptés pour les hommes), qui sont autant de problèmes que les femmes vivent de manière plus virulente dans leurs rapports avec les institutions (dont particulièrement le système médical), et décrit ces réalités comme de simples situations particulières qui menaceraient leur identité.
Cette focalisation sur l’identité malmenée des hommes prend un tour plus gênant lorsqu’un sociologue comme Jacques Roy, un des conférenciers du colloque, déduit par exemple du taux de diplomation plus élevé des filles que les femmes sont actuellement avantagées par « un reclassement relativement important » et que ce reclassement risque de mener « à quelque part vers un tsunami social ». Les avancées des femmes ont toujours fait peur aux hommes, et l’usage de la peur est souvent l’arme que choisissent les hommes pour tenter de récupérer ce qu’ils considèrent comme des inégalités relatives, alors que ces avancées sont le résultat de longues luttes entreprises par le mouvement des femmes pour échapper aux discriminations en tant que femmes, et dans le cas de l’éducation, pour s’émanciper de la maison du père en revendiquant l’accès au savoir.
Ce type de discours pourrait s’apparenter à la thèse de l’effet pervers développée par Albert O. Hirschman. Il s’agit d’un discours qui soutient que les actions humaines peuvent avoir un effet non voulu. L’astuce consiste à se montrer sympathique aux causes progressistes (ici le féminisme libéral ou égalitaire), tout en laissant entendre qu’elles conduisent immanquablement à un recul. L’efficacité de la rhétorique n’a pas besoin de preuves : il suffit d’une autorité pour créer de toutes pièces un problème alors que d’autres y voient une avancée. En prétendant que les gains des femmes dans l’économie du savoir conduiraient à un « tsunami social » qui placerait les hommes dans une situation défavorable, le sociologue emprunte le discours de l’effet pervers, tout comme ceux qui prétendaient que le droit de vote des femmes allait les détourner de la famille et que l’accès des femmes au travail les déposséderait de leur rôle de mère (une idée qui circule encore).
Qu’un tel discours soit avancé dans un colloque sur les masculinités n’est pas anodin puisqu’il participe à l’antiféminisme ordinaire en voulant maintenir l’ordre social menacé par le désordre d’une prétendue lame de fond féministe. Au lieu d’y voir des avancées pour une société plus juste et égalitaire, l’on préfère créer de fausses raisons d’avoir peur et de sombrer dans la démesure en cherchant à défaire la pensée féministe du socle d’une lutte politique pour imaginer ensemble d’autres formes d’institutions que le patriarcat et le capitalisme.