
Elle est plutôt blanche comme un drap, rouge de colère et tire parfois vers le jaune. Elle s’inscrit en gros caractères ou en filigrane. Elle vous coupe l’air, elle prend ses grands airs. Elle est un mal qu’on change de place, un mal nécessaire. On se passerait bien de ses délétères. Elle se cherche un allié dans le noir, du cri primal jusqu’à son dernier soupir, de la supplication forcée à la prière avouée.
Déni des impavides qui s’acharnent à la soumettre à leur brave ego. Un mot caché dont il faut constamment entourer les lettres séparées. Le risque est imminent d’être affublé de peureux ou de tous les mots qui finissent en « phobes ». Juste le mot est anxiogène. La peur veut être rassurée, elle ne veut pas vivre dans l’inconnu et être laissée pour compte et mourir de peur.
D’aucuns carburent à l’adrénaline, d’autres se débattent avec un taux de cortisol trop élevé, choc de stress post traumatique incrusté dans leur corps. Elle est carencée en mélatonine, en sérotonine et en dopamine. Elle est humaine après tout… La peur est silencieuse et famélique mais elle est plus que jamais accélérée, suggérée par des succédanés d’images bien alimentées. Elle est sensationnaliste.
Le pire, c’est qu’elle est là. Elle est là, tapie dans l’ombre, épiant, se pointant à la moindre occasion. Elle vous glace le sang et vous fait sursauter, entraînant avec elle toutes les autres peurs qui se tiennent par la peau du cou. Elle se pointe avec ses amies goulues qui s’invitent et que vous finissez par mettre à la porte. Elles ont tenu un caucus dans le salon et ont foutu le bordel.
La peur est soliloque, isolée, conscience d’humanité esseulée. La peur se suffit à elle-même, quoiqu’elle s’active le plus souvent en « gang» . Elle se prend en ego-portrait sur le bord d’une falaise. Elle se targue, s’adule, elle arrive à ses fins…Elle parle fort, culpabilise, dévalue, annihile l’altérité. Elle domine. La peur est capable de tout, elle contrôle tout, elle intimide, attaque et taxe, elle est caustique, elle transfert tout. Elle est politique et humoriste. La peur se languit d’avoir de la compagnie mais règne sur le trône de l’individualité.
Elle a peur du vide, du manque, de l’absence. Elle est floue, confuse, ambivalente, la peur veut savoir. La peur est la réponse sans la question ou le contraire, c’est selon. Elle est tout ce qui n’est pas nommé. Elle est un oxymore, s’en va dans tous les sens. La peur est laxisme ou totalitaire. Elle est une ignare. Elle est sur le qui-vive du soi.
Elle a peur de ne pas être, de ne pas avoir. Elle est naturelle, inculquée, conjoncturelle, subite. La peur est de mauvaise foi. Elle cherche un sens à sa vie, elle cherche Dieu mais elle tient à ses rites. La peur doute encore même quand elle sait. La peur a une face cachée mais elle a surtout peur de perdre la face.
La peur prend toute la place, y compris la vôtre. Elle veut votre bien et elle repart avec. Elle prend votre cœur et le brise.
Elle est notre humanité dans son plus simple appareil dans la vaste éternité. Elle est conditionnelle, elle croit si et seulement si. La peur en impose. La peur est en proie aux absolus mais bascule dans la vacuité.
La peur est oxymore. Elle oxyde, elle mord. Elle se pare de tout, elle est partout. Elle vit sur du temps emprunté, le nôtre. Elle s’insurge et elle se replie.
La peur amplifie mais elle est conscience ou fait semblant et reste placide. La peur est une innocente rieuse. La peur est hypocondriaque mais quel bonheur que de manquer de maux et de les voir s’étioler dans l’arc-en-ciel sur fond bleu azur.