Depuis quelque temps le disque vinyle fait un grand retour. La galette de plastique retrouve le chemin des tablettes du disquaire. Et alors? N’ai-je pas, moi-même, passé ma jeunesse primesautière à courir les bacs à disques d’occasion, avide de galettes de jazz révolutionnaires inédites sur CD comme de rock outrancier, revendu trop cher sur laser?
Soit. Mais aujourd’hui le vinyle, c’est tendance. Voilà qu’on me revend le LP (long play) plus cher, sous le prétexte qu’il est coulé dans du plastique tout neuf et ainsi dénué de toute valeur historique. Le disque que ma curiosité me poussait à acheter à 1 $ l’unité se vend aujourd’hui au prix du kilo de bœuf biologique. Si mon but avoué avait été de rendre les enfants bêtes, je n’aurais pas agi autrement. À ce régime, j’aurais connu cinq groupes et je n’aurais pas l’impertinence d’écrire ces chroniques malpolies.
Le cas The Clash est particulièrement intéressant. Le groupe, toujours, a voulu que ses albums doubles ou triples se vendent en magasin au prix du simple. London Calling (2LP) et Sandinista (3LP) se vendaient 5,99 $ dans les années 80 et se trouvaient, dix ans plus tard, pour quelques dollars. Eh ben! Ils n’ont attendu que quelques mois après la mort de Joe Strummer (leader du groupe) pour offrir une réédition 180 grammes à plus de 80 $. Punk’s not dead. Punk is sold. Une édition mono avec ça?
« On avait tout mis sur CD! »
La résurrection du vinyle serait-elle le miracle tant attendu par l’industrie du disque qui s’écroulait depuis plus de dix ans? Alors que les ventes chutaient, qu’on accusait à tout vent les consommateurs d’être responsables de la crise du disque, l’industrie tergiversait, n’ayant pas su s’adapter aux mœurs et aux changements technologiques, elle se retrouvait un peu comme le syndicat des ramasseurs de crottes de cheval face à l’invention de l’automobile.
De D à CD à Déprime
La véritable crise du disque commence après l’excès. Quand les majors du disque ont eu fini de rééditer tous les grands succès commerciaux de la musique pop occidentale, le désastre commençait.
Ils avaient trouvé la mine d’or. Et pas bien loin, dans leurs propres catalogues. C’était presque trop facile. Après nous avoir revendu, réchauffé, les Pink Floyd, AC/CD, et autres idoles discos, les marchands se retrouvaient avec une patate chaude : la création, cette chose qui ne se vend pas si bien, surtout dans la logique de masse qu’ils ont imaginée.
On les ressort en vinyle? Ainsi font, font, font, 33 petits tours et puis s’en vont.
Archives de l’âme and I hate you Lucien Hétu
Quelques observations naturalistes nous permettent de constater que l’amateur de ronds de cire n’écoute pas forcément la musique qui s’y trouve gravée. Certains les rangent cliniquement dans des tablettes froides. D’autres patients développent un désir de type ironique et écoutent des musiques mauvaises, mais si bien servies par leur médium, et créent ainsi des artefacts archivistiques dérisoires (on a les vinyles qu’on peut). On peut facilement penser que l’œuvre de Lucien Hétu, par exemple, a trouvé plus d’adeptes que celle d’un Claude Jutra chez la jeunesse de 2016. N’allons pas là.
Et si le Independent record store day était le Kill the independent producer day?
Avec le retour de la galette, on a créé une fête des Rois pour célébrer le culte de l’hostie noire trop grosse pour la bouche. Alors, les majors du disque arrosent le fanatique d’éditions spéciales : majoritairement de produits n’incluant que du connu, mais dans un emballage différent avec, par exemple, la photo du pénis du chanteur sur vinyle de 177 grammes. Pendant ce temps, le producteur indépendant se fait dire par l’usine, le lendemain de Noël, que son pressing sera plus long et plus cher puisqu’il y a le Record store day en avril et que les usines tournent à pleine vapeur.
Entre archive et fantasme
Alors, pendant que les big boss de la culture nous lancent des veaux d’or de vinyle et des rééditions de disques qui n’ont jamais existé, je vous propose de voir ce qui se passe ici, chez vous, et de penser au dos de l’assiette… ou de la galette. On achète son café équitable, son alimentation locale. Il faudrait aussi penser à l’éthique de notre consommation culturelle. Des symboles, ça se vend. Et pourquoi pas un disque végétal?