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Les syndicats : entre solidarité et concurrence

Par Rolande Pinard le 2015/11
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Les syndicats : entre solidarité et concurrence

Par Rolande Pinard le 2015/11

On attend des syndicats qu’ils luttent contre l’exploitation des travailleurs et des travailleuses, et pour la justice sociale. Par ailleurs, nos lois du travail ont fait du syndicat un agent négociateur qui doit défendre et représenter ses membres, mais aussi les non-membres, devant un employeur particulier. C’est une fonction axée sur la collaboration, malgré sa dimension conflictuelle. Le syndicalisme présente ainsi un versant de collaboration avec les employeurs, et un versant de lutte. Travail et capital, travailleurs/travailleuses et capitalistes sont à la fois complémentaires et antagoniques : complémentaires dans la production et antagoniques dans la société. L’histoire du syndicalisme est marquée par cette contradiction : des périodes de collaboration avec les employeurs succédant à des périodes de luttes sociales et syndicales intenses. Ces dernières se sont faites très rares au cours des derniers trente ans, marqués par un affaiblissement important du syndicalisme dans tous les pays capitalistes industrialisés. Ce phénomène coïncide avec la crise du capitalisme associée à sa globalisation.

Cette crise remet le syndicalisme en question, et ce n’est pas la première fois. Au XIXe siècle, le syndicalisme de métier a été dominant, car la collaboration travail-capital dans la production conférait un pouvoir aux ouvriers syndiqués, qu’ils pouvaient mettre à profit dans leurs luttes sociales-politiques dans la société. Des ouvrières et des ouvriers considérés sans métier dans quelques industries – celles du vêtement, des textiles, des mines par exemple – se regroupaient dans des syndicats dits industriels, et se donnaient une force collective par des solidarités territoriales, plutôt que par la complémentarité dans la production avec l’employeur.

Au tournant du XXe siècle, le capitalisme des grandes corporations et la production de masse ont détruit la plupart des métiers de la production. La syndicalisation par entreprise a, par la suite, été substituée au syndicalisme de métier et aux syndicats industriels existants. L’emploi – le lien avec un employeur – a remplacé le métier du travailleur comme fondement du syndicalisme. La défense de l’emploi, et donc de l’employeur, est alors devenue centrale. L’action syndicale pour améliorer les conditions de travail et d’emploi sera désormais enfermée dans le milieu de travail. Les luttes plus larges, dans la communauté et la société, sont interdites lorsqu’il s’agit de combattre l’exploitation des travailleurs et des travailleuses. Avec la syndicalisation par entreprise, les rapports entre travailleurs/travailleuses et capitalistes sont considérés comme une affaire privée entre un employeur et ses employés. Les syndicats se sont donc regroupés sur une base territoriale pour mener des luttes à caractère social, solidairement avec d’autres groupes.

Avec la globalisation capitaliste, le syndicalisme fondé sur l’emploi, sur un lien stable avec un employeur, perd de sa pertinence à mesure que les entreprises favorisent la flexibilité de l’emploi, c’est-à-dire sa précarisation, pour assurer leur propre sécurité. La syndicalisation par entreprise devient de plus en plus désuète à mesure que les entreprises se délocalisent, se rationalisent, s’organisent en réseaux. Cette forme de syndicalisation, adaptée aux grandes corporations, a toujours mal servi les salariés des PME manufacturières et des entreprises de services privés et de proximité.

Au cours des dernières décennies, aux États-Unis, des personnes salariées du bas de l’échelle, dans ce type de services – surtout des femmes, des immigrants et des immigrantes, des sans-papiers – se sont mobilisés pour exercer leur droit d’association, pour obtenir des salaires décents, pour se faire reconnaître la pleine citoyenneté, mêlant donc luttes politiques et luttes économiques, sur une base territoriale (une ville, le plus souvent). C’est le cas, par exemple du personnel préposé à l’entretien ménager d’édifices publics et commerciaux, des aides à domicile et, plus récemment, des employées et des employés de la restauration rapide dans plusieurs villes étatsuniennes. Ces luttes ne sont pas axées sur les rapports employeur-employés, mais sur des solidarités élargies dans la communauté, réunissant des travailleurs et des travailleuses de différents employeurs, et d’autres groupes sociaux. Elles ont permis la syndicalisation de groupes considérés comme des causes perdues, ou sans intérêt. Elles sont en train de faire accepter l’idée d’un salaire minimum de 15 $ l’heure à travers les États-Unis et jusqu’au Canada. Ces luttes renouent avec le type d’action collective des premiers syndicats industriels.

L’exercice de la liberté à travers des solidarités élargies dans la société se fait dans des espaces à dimension humaine – une ville, une région, une communauté, une profession… La globalisation capitaliste, à travers les ententes économiques intercontinentales négociées par nos gouvernements, menace ce type d’action collective en mettant les régions en concurrence les unes avec les autres, en dressant les populations les unes contre les autres. Les regroupements syndicaux régionaux sont donc directement interpellés : solidarité ou concurrence, selon qu’ils s’allient à d’autres groupes pour la défense des droits sociaux, économiques et politiques des citoyens et des citoyennes, ou aux promoteurs de l’activité économique dans la seule logique de l’emploi.

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