
Quand on dit « arriver à point nommé »… Lorsqu’on m’a invitée à écrire un article sur la presse indépendante, je lisais l’ouvrage de Jacques Keable sur la trop courte histoire du quotidien indépendantQuébec-Presse (1969-1974). Entre un passé mouvementé pas si lointain et un avenir pas toujours radieux, que dire aujourd’hui de la presse indépendante québécoise?
D’abord, il faudrait bien s’entendre sur ce qu’on veut dire par « indépendant ». Parce qu’un journal, comme n’importe quel média d’information d’ailleurs, n’est jamais vraiment indépendant. Au mieux, le média sera dépendant de ses lecteurs et lectrices et de l’engagement de ses artisans. Au pire, il sera dépendant de ses propriétaires qui, eux, dépendront des annonceurs et des actionnaires. Pourquoi au pire? Simplement — et c’est particulièrement criant dans le domaine de l’information — parce que les impératifs économiques sont rarement compatibles avec les exigences démocratiques.
Coup de cœur : chapeau bas
Quiconque s’intéresse un peu à l’histoire de la presse indépendante québécoise ne peut qu’être enthousiaste et ému devant les aventures formidables et irrémédiablement énergivores de ses publications phares. Des phares toutefois qui ne brûlent pas longtemps, vite rattrapés par des difficultés financières qui semblent intrinsèques à la notion même de presse indépendante. On pense, pour ne nommer que ceux-là, à des quotidiens comme Québec-Presse (1969-1974) ou Le Jour (1974-1976) ou à des magazines comme la féministe Vie en rose (1980-1987) ou l’alternatif Temps fou (1978-1983). Ces publications naissent dans des réseaux militants dont les luttes ne trouvent pas écho dans la presse mainstream. Des publications naissent, d’autres meurent. Si certaines réussissent à survivre, elles représentent l’exception plus que la norme. Permettez-moi à ce propos un coup de chapeau à l’un des doyens des journaux alternatifs toujours vivants, le mensuel L’aut’journal lancé en 1984. Quelques années plus tard, une nouvelle ère s’ouvre avec l’apparition de plusieurs médias alternatifs, indépendants ou communautaires comme Le Mouton Noir en 1995, Le Couac en 1997 et Recto Verso (1997-2004).
L’édition du Mouton Noir représente un défi particulier, celui de produire un journal engagé à partir de Rimouski et de le diffuser à travers le Québec. Et vlan dans les dents de l’omniprésent montréalocentrisme de la presse québécoise, un phénomène, il faut bien l’avouer, qui touche aussi la presse indépendante. Aujourd’hui encore, ce point de vue pas seulement géographique colore et particularise les dossiers présentés dans Le Mouton et contribue à un débat social nécessaire. Rappelons que Le Mouton est arrivé quelques mois avant la dernière tentative de publication d’un journal quotidien au Québec, un quotidien régional pour le Bas-Saint-Laurent intitulé Le Fleuve, qui fera paraître 151 numéros en 1996. C’est là une autre des caractéristiques de la presse écrite indépendante, elle est essentiellement mensuelle ou bimestrielle. Publier un hebdomadaire ou un quotidien est bien trop coûteux et semble plus que jamais réservé aux conglomérats régnant dans le milieu de la presse québécoise.Le Devoir, qui faisait récemment état du retour de temps financiers difficiles après quelques années fructueuses, demeure le seul quotidien francophone indépendant au Québec. Il fait une fois de plus appel au soutien de ses lecteurs et lectrices avec Les Amis du Devoir. Tous les médias indépendants finissent par lancer ces appels aux lecteurs et lectrices, parce qu’au final, ils sont les seuls garants de leur indépendance.
Coup de cœur donc pour cette presse portée à bout de bras, pour ces doux fous et folles de la presse indépendante, qui contre vents, tempêtes et comptes à payer trouvent des moyens pour continuer de publier.
Coup de gueule : et l’information régionale?
Tout ce bel enthousiasme n’empêche pas cependant le coup de gueule devant la fragilité de la presse indépendante. Une colère devant les nouvelles des difficultés du formidable gaspésien Graffici. La situation me semble particulièrement préoccupante dans le cas de l’information locale et régionale, où les hebdomadaires de Transcontinental règnent. Qu’arrive-t-il quand il n’y a pas un « marché » suffisant? Voilà bien un autre fait marquant de la presse indépendante et communautaire : son développement semble inversement proportionnel au prorata de la population. Prenons les membres de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ), on y compte neuf journaux dans la grande région de Montréal/Laval/Laurentides/ Lanaudière et… 16 dans la seule région Chaudière-Appalaches. Les tirages sont souvent assez réduits, mais ces journaux, que j’appelle une presse de proximité, constituent souvent la seule source d’info locale et régionale. La situation s’explique facilement : dans le cas de la presse commerciale (concentrée), quand ses perspectives de rendement financier ne sont plus au rendez-vous, quand le temps des compressions économiques est venu, le média d’information (ou son propriétaire pour être plus précis) met fin à ses activités, et la source d’information qu’il représente se tarit. La presse communautaire indépendante ne cherchant pas à générer des profits visera plutôt à combler des vides — des chercheurs américains parlent de News Desert, l’image est éloquente — par la création de médias d’information à but non lucratif. Parce que l’information n’est pas un produit, c’est un outil, un échange, le reflet d’une communauté, c’est ce que nous rappelle la presse indépendante. Allez, bon anniversaire, cher Mouton! Longue vie!