D’entrée de jeu, mettons une chose au clair : les vendus à la cause du pétrole albertain qui militent en faveur d’un oléoduc pour désenclaver cette « richesse nationale » clament à qui veut l’entendre que les pipelines sont un mode de transport beaucoup plus sécuritaire que le train ou le bateau. Nonobstant les failles de ce système et les nombreux déversements qu’on a connus, peut-être, statistiquement parlant, ont-ils raison. Mais la question ne se pose pas ainsi. Leurs prémisses sont fausses. Il ne s’agit pas de déterminer si tel ou tel mode de transport est moins risqué qu’un autre, mais bien s’il est judicieux de chercher à extraire en plus grande quantité une des substances parmi les plus polluantes au monde, et de lui faire franchir des milliers de kilomètres, par une voie ou une autre, dans le but de lui donner une plus-value en visant des marchés plus lucratifs (avec tous les risques que comportent de telles opérations).
Il va de soi que le pétrole demeurera pendant quelques années encore une substance dont il sera difficile de se passer, attendu que le fondement même de nos économies repose actuellement en grande partie sur son utilisation. N’étant pas producteur, le Québec a dû de tout temps importer cette matière première, mais il y a une différence majeure entre le fait d’acquérir un bien pour combler ses propres besoins, jugés essentiels, et le fait d’assumer des risques considérables sur le plan environnemental dans le seul but de permettre l’accroissement de l’extraction de ce pétrole venu de l’ouest et son acheminement vers les marchés extérieurs. Jugeant qu’il s’agit d’une aberration, et l’ère du pétrole achevant, plusieurs clament sans doute à juste titre que nous ne devrions même pas envisager de chercher à en produire nous-mêmes, sur notre propre territoire, pour plutôt nous tourner résolument vers une économie verte.
De son côté, plus fédéraliste que son ombre, notre bon Docteur Couillard estime que c’est un peu de notre devoir à titre de partenaire de cette fédération et tributaire des bienfaits de la péréquation de faciliter l’accès du pétrole albertain aux ports de l’Atlantique. Ah oui? Pour tous les bienfaits que nous concède notre présence au sein de ce vaste et merveilleux pays, nous serions disposés à mettre en péril nos cours d’eau et notre environnement? Je n’aurais qu’un commentaire à ajouter, et cela, sans chercher à me montrer méchant. Imaginez l’inverse. Imaginez que c’est nous, du Québec, aux prises avec des surplus, cherchant à acheminer vers la côte ouest un pétrole de même nature tiré du schiste ou des sables de chez nous. La substance transiterait par l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta, la Colombie-Britannique… Connaissant l’amour qu’on nous porte dans ces contrées et dont on nous a abondamment inondés lors du référendum de 1995, je vous laisse imaginer les réactions.
Pour le fils de l’aéroport et légitime descendant du fossoyeur de Mirabel et du parc Forillon, Justin Trudeau, c’est clair comme de l’eau de roche : le sale pétrole d’Alberta doit transiter par le Québec. Monsieur Mulcair de son côté se montre plus ambivalent et utilise judicieusement les ambiguïtés de la traduction simultanée : une bonne chose dans l’Ouest, un projet dont on devra bien évaluer toute la portée et chacune des conséquences à l’Est.
Quant à Stephen Harper, votre serviteur n’a qu’un seul vœu : que ce soit la dernière fois que son nom paraisse dans cette chronique!