
La journaliste, auteure, cinéaste et militante canadienne Naomi Klein a fait paraître en 2015 son cinquième livre, Tout peut changer, qui a reçu le prix littéraire canadien Hilary-Weston, assorti de 60 000 $. Selon le jury, « cette exploration révolutionnaire du changement climatique de la perspective du fonctionnement du capitalisme présente des points de vue uniques et son analyse de l’interconnectivité entre notre relation avec la nature et la création de sociétés meilleures et plus justes offre une proposition radicale ».
Naomi Klein est catégorique : pour stabiliser le dérèglement climatique en cours, il faut réaliser une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’une telle envergure que seuls des changements économiques et politiques draconiens partout sur la planète peuvent y parvenir. Ces changements doivent être mis en place avant 2020. Après, il sera trop tard. Après, le dérèglement climatique ne sera ni prévisible, ni réversible, ni restreint aux seules régions dites « isolées1 » de ce monde. En raison du stade avancé de la crise écologique actuelle, le choix auquel est confrontée l’humanité entre capitalisme ou environnement, serait, en réalité, encore plus simple : « changer… ou disparaître ».
Klein explique les impacts de l’exploitation des énergies fossiles sur les espèces vivantes, dont l’espèce humaine, et sur les habitats naturels qui se rétrécissent et se vident de leur vitalité ou de leur capacité à soutenir la vie. Une économie pétrolière nuit à la capacité de soutenir la vie et la fertilité en raison de la pollution massive rejetée dans l’atmosphère, les plans d’eau, les sols, la faune et la flore. « Pour de plus en plus d’espèces, le dérèglement climatique crée des pressions qui mettent en péril leur principal outil de survie : la capacité de donner la vie, de transmettre leur bagage génétique ». Klein montre aussi en quoi la piste de la géo-ingénierie2 ne ferait qu’aggraver le dérèglement de l’emprise humaine sur l’environnement naturel. Il est faux de vouloir combattre les effets de la pollution par d’autres formes de pollution. Les solutions technologiques magiques n’existent pas. Avec l’essai de Klein, on comprend que la crise écologique (de son origine aux solutions qu’on y propose) est fondamentalement philosophique, politique et économique.
On aurait pu s’attendre à être désespérée après cette lecture. Au contraire, Klein parvient à présenter les faits et l’urgence de la crise en nous redonnant confiance en la capacité individuelle et collective d’agir. Elle recense de nombreuses pistes d’action, des stratégies de changements et de résistance qui ont déjà fonctionné, ici et là, pour contrer et remplacer l’exploitation des énergies fossiles au profit des populations locales ou nationales. Des solutions existent et elles ne sont ni punitives pour les populations, ni centralisatrices, ni moralisatrices. Au contraire, certaines solutions sont émancipatrices et misent sur le développement d’énergies renouvelables et d’économies écologiques dont le contrôle et les retombées demeurent entre les mains des collectivités. Elles proposent la construction d’un monde meilleur, du local à l’international, selon un scénario qui tienne compte de la vulnérabilité des cycles de la vie, de l’interdépendance des populations et de l’interdépendance de l’humanité et de la nature.
Il faut cependant agir et exiger ce monde. La crise actuelle n’est pas une fatalité, elle est le résultat de l’action de plusieurs types d’acteurs. L’industrie pétrolière, les marchés boursiers, les signataires d’accords internationaux, les climatosceptiques et la droite politique forment une puissante alliance juridique, politique et relationnelle qui travaille à grands frais à assurer une croissance exponentielle de l’exploitation des énergies fossiles. Selon Klein, cette alliance est en train de faiblir; mais elle craint une alliance encore plus puissante, celle d’une population mondiale exigeant pouvoirs, richesses, libertés et sécurités.
Pourtant, pour l’instant, la majorité de la gauche politique, des grandes organisations environnementales, des mouvements sociaux et des individus citoyens ou consommateurs n’est pas investie dans un mouvement de protestation radicale contre l’économie centralisée de l’extraction, peu importe l’échelle ou la teneur de leurs protestations respectives. Faute de convergence, de connaissance ou de sentiment de puissance, la majorité de ces acteurs ne sont pas au rendez-vous, alors qu’ensemble, ils auraient le pouvoir de renverser la vapeur.
Klein est d’avis que la sortie de la crise écologique ne pourra se faire que si les sociétés civiles, les mouvements sociaux, les peuples autochtones forment un partenariat pour porter le flambeau de la contestation. En d’autres mots, la solution est entre les mains des populations qui ont tout intérêt à protéger l’intégrité de leurs territoires, à développer leur capacité économique et politique de s’autodéterminer et à développer leur capacité de réagir aux catastrophes naturelles à venir. « Les enjeux sont trop importants – et les délais trop serrés – pour se contenter de moins. »
- C’est une réflexion ethnocentrique que de penser qu’il y a des régions isolées dans le monde. Toutes les régions sont au centre de l’univers de personnes ou de communautés.
- « Étude de manipulations extrêmes du système climatique terrestre pour remédier à la crise actuelle », une définition de Klein.