
Le palais de l’Élysée, ou le « Château » pour les intimes, est un lieu de pouvoir, cela va de soi, mais c’est également, plus banalement, un lieu de travail pour des centaines de personnes. À preuve, le « centre de l’Élysée », apprend-on dans Le Château, c’est la machine à café. Et ici comme ailleurs, le nouveau qui débarque s’empressera de demander : « C’est quoi le code wi-fi? » (Dans le cas des journalistes, ce sera aussi : « C’est où qu’on mange? »)
C’est grâce au travail de Mathieu Sapin qu’on peut découvrir de l’intérieur ce lieu unique. L’auteur pratique un genre bien à lui en bande dessinée, à mi-chemin entre le carnet et le documentaire. Sa technique est simple : il s’invite ou plutôt réussit à se faire inviter là où peu ont accès. L’auteur a déjà fait le coup au journal Libération et pendant le tournage du Gainsbourg de Sfar. Des mois durant, à l’aide de son carnet à dessin, Sapin observe, note, dessine, commente.
Il s’attarde sur des choses parfois légères (l’abondance des boutiques de lingerie fine autour de l’Élysée), parfois graves (la gestion politique de l’après Charlie Hebdo). L’auteur remarque avec finesse les décalages, nombreux dans ce genre de lieu. Ainsi, pendant que le monde est en crise avec la Crimée, qu’on envisage la pire des escalades et que les diplomates s’activent, le président participe stoïquement à une fastueuse cérémonie de remise de la Légion d’honneur. C’est alors pour le récipiendaire un « moment hyper important de sa vie », alors que pour le président, c’est un « moment important de sa fin d’après-midi ».
On voit surtout à quel point tout est prévu, calculé, millimétré. La communication politique tout particulièrement. Elle imprègne jusqu’au mobilier : la nappe de la table du conseil des ministres, elle n’est pas « couleur havane », elle est « chamois », « parce que “havane”, bon… ». Au fil des pages, Sapin trouve là le cœur de son propos : les mécanismes, les règles et les subtilités de la communication présidentielle. C’est ce qui en fait un album qui vaut le détour.
Sapin s’amuse en voyant le ping-pong des conférences de presse : le politicien « essaye d’imposer ses sujets » alors qu’en face les journalistes « essayent de contourner le truc pour l’obliger à parler de ce qui les intéresse ». On voit même des journalistes qui commencent à écrire leur article avant d’arriver à la conférence de presse : « Il me manque le discours mais sinon je sais ce que je vais raconter », confie l’une d’entre eux.
Pour autant, pas de critique convenue sur de superficiels journalistes complices du pouvoir. Ce qu’on constate, de l’intérieur, au-delà de la première impression, c’est que l’interdépendance entre les mondes politique et journalistique est faite de tension autant que de connivence. Après tout, au quotidien, politiciens et journalistes sont quelque part des collègues de bureau. Comme ailleurs, on travaille autant qu’on blague et qu’on s’engueule. Heureusement que la machine à café est là pour rassembler tout le monde.