
OK… Y’est quatre heures du matin… Le jour commence à pointer… Les coqs chantent… J’en ai deux. C’est pas nécessairement harmonieux et ils semblent vouloir se livrer une compétition qui ressemble — et mon analogie ne se veut en rien un commentaire sur la chose — à une mauvaise semaine de La Voix. J’aurais tout pour, là là, être de mauvaise humeur! Faut que j’dorme! J’ai passé trois semaines en ville, le hamster à « broil ». La tête qui « spin » comme un manège de La Ronde qui voudrait pas s’arrêter, jamais… Je me lève, j’ai d’la misère à m’déplier, un peu barbouillé d’un souper entre amis la veille et nécessairement un peu vinifié, je descends en bas. J’assume le pléonasme totalement. Les fenêtres qui donnent sur le fleuve dans ma maison au bout du rang sont ouvertes, l’air frais rentre comme quelqu’un qui sait qu’il est bienvenu… Y vente un peu, les oiseaux chantent comme si y’avait pas d’lendemain… Je me gratte l’entrejambe avec plus ou moins d’élégance mais beaucoup de satisfaction… Ma chienne est dans le tambour et attend gentiment que je vienne lui ouvrir la porte pour lui signifier que la journée commence… « Ça sera pas tu suite ma belle… J’me gave de fleuve, pis j’vas me r’coucher. » C’est c’que j’fais. J’me plante devant les fenêtres qui laissent couler le fleuve dans la maison, pis j’regarde… Je r’garde et j’écoute. C’est presque aussi bruyant qu’en ville on pourrait dire… Mais les sons du vent, des oiseaux, des coqs qui chantent, on a beau dire, c’est autre chose… Ça a pas le même effet sur moi. Alors, je contemple et me laisse pénétrer par le territoire que j’habite. Les champs plus bas, les verts, les jaunes, la grange rouge sur le rang des Côtes, le bleu du fleuve, un peu anthracite ce matin, une petite brume qui plane sur son eau, la lumière qui commence à flatter le gazon pis pas mal toutte autour… J’vous jure, j’me pince! À chaque fois… C’est chez nous! Chus pas d’ici, chus pas né ici, mais c’est chez nous… Je l’affirme. Je le sens. J’ai trouvé ma maison.
Mon précieux ami et mentor et, par le plus merveilleux des hasards, mon voisin de rang, Roméo Bouchard, dirait que je nage en plein « fantasme pastoral » et il aurait un peu raison. Non pas qu’il se soit lassé de cette transcendante beauté — au contraire, il s’en délecte lui aussi —, mais vivre ici, c’est prendre part à ça, oui, c’est faire un avec la beauté, mais c’est aussi vivre toute la ruralité. Et vivre toute la ruralité, c’est se poser plein de questions avec elle sur comment elle s’incarne et s’adapte et se transforme avec le siècle. Mais ça c’est l’objet d’une autre discussion… Pour l’heure, si on me demande pourquoi ici c’est chez moi, ça se résumera à ça… Je vais pas aller me recoucher finalement. Je vais rester debout pour goûter tout. Je sors la chienne du tambour — c’est fou comme les chiens sont heureux de vous retrouver le matin! Je vais dans la salle de bain où le fleuve me suit, j’ouvre le robinet d’eau froide, me « pitche » un peu d’eau dans face, enfile mes jeans d’hier pis d’avant-hier pis d’avant-avant-hier, mets mes bottes de caoutchouc, pis je sors ouvrir la porte du poulailler. Je vais saluer mes poules avec ma chienne qui attend sagement à l’entrée… Je « cueille » mes oeufs. Juste ça… Juste ça, ça me rend heureux. Saisir la volatilité du bonheur. La souhaiter pour mieux savoir quand il arrive et quand il part. Rendre grâce pour son impermanence quand on voudrait nous imposer sa dictature. J’ai une poule qui couve. Roméo m’a dit que ça prend 21 jours j’pense… Ça devrait arriver bientôt. Je sors du poulailler avec une belle récolte. Évidemment, j’en ai trop pour moi. J’vas en donner…encore. Donner des oeufs. Une autre « poffe » de bonheur t’à coup… Ma maison fait face au fleuve et est, en même temps, acculée à un magnifique cabouron. La basse-cour du poulailler donne sur le cabouron. Je l’ai monté souvent. Y’a pas de chemin balisé mais on a pisté une voie qui mène jusqu’en haut. J’ai trouvé, une fois, un nid d’urubus. J’pense. Y’en a plein qui planent au-dessus du cabouron. En haut du cabouron — câline que j’aime ce mot! — on voit loin, on voit à l’ouest en bas, Kamouraska, ben le clocher de son église, on voit à l’ouest Saint-Germain-de-Kamouraska, mon village, et son église rebelle qu’on a construite sans l’approbation du clergé. Ça en dit long sur les gens du coin, sur leur caractère, leur détermination, leur entêtement à faire à leur tête justement si c’est pour le mieux… C’est pas pour rien que j’ai abouti ici. Ça sent la résistance. La résilience. Je sais ben qu’il y a eu des guerres de villages, des hostilités de clans, mais un village de 275 habitants qui existe encore, qui se réinvente, qui même se repeuple tranquillement, c’est pas rien… C’est comme ça ici. Les jeunes débarquent de plus en plus avec l’envie de prendre racine autrement mais dans l’écho de ce qui s’est fait avant eux. Fait que c’est ça, chus en haut du cabouron, je regarde ça, pis j’me sens comme Leonardo DiCaprio à la proue du Titanic qui fait « voler » sa douce dans le vent en criant : « Je suis le roi du monde! » Je sais… On a les images qu’on a… Mais sérieusement, je suis un roi de rien mais ce territoire est en moi, je le porte en moi depuis des millénaires… C’est chez nous depuis bien longtemps…