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Le dernier droit

Par Pierre Landry le 2015/07
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Le dernier droit

Par Pierre Landry le 2015/07

Encore bancale à bien des égards, rafistolée de toutes parts, remise à neuf autant avec de nouvelles composantes qu’avec des pièces usagées, un chef de train frais émoulu à sa barre et un vieux routier dans le wagon de queue, la locomotive de la souveraineté se met en branle à nouveau, cahin-caha, crachotante et poussiéreuse. Du nombre des fourgons qu’elle traîne dans sa course poussive, certains arborent en lettres d’or la signature des grands cheminots dont la voie ferrée de l’Histoire porte encore la marque. Ils ont nom Jacques Parizeau, René Lévesque, Camille Laurin, Gérald Godin. Dans la gare de triage, juste à côté, rutilant, tout fringant, les roues motrices calées au creux des starting-blocks, les réservoirs débordant d’argent et de votes « ethniques », le TGV libéral-conservateur-npd fédéraliste attend patiemment le signal du départ…

Autrefois, les vieux engins brinquebalants qui sillonnaient nos campagnes étaient mus à la vapeur, la chaudière étant alimentée dans un premier temps par des billes de bois qui furent bientôt remplacées par le charbon. On arrêtait à chaque village faire le plein d’eau et de combustible afin d’être en mesure de se rendre jusqu’au village suivant. Ces déplacements suscitaient une activité économique importante et une certaine effervescence dans chaque localité, une petite vie grouillante chamboulée par l’arrivée du diesel. Et si les locomotives modernes sont toujours propulsées par ce même carburant, on nous annonce aujourd’hui que les wagons de demain qui franchiront nos villes et cours d’eau serviront en majorité au transport du noir pétrole bitumineux d’Alberta, de la même nature que celui qui a détruit le cœur et l’âme de la municipalité de Lac-Mégantic. Et on nous dit que nous n’avons aucune prise sur ces réalités. Ces choses sont du ressort du fédéral.

On ne fait pas un pays par revanche ou en vertu du simple plaisir anticipé d’une victoire historique célébrée dans le délire du fameux grand soir. On ne fait pas un pays avec quelques porteurs de drapeau même si ces derniers sont d’une foi bien réelle, trempée dans l’acier le plus pur de notre histoire. On ne fait pas un pays avec une seule génération souche, combative mais vieillissante, s’apprêtant à jouer son va-tout quitte à signer là son baroud d’honneur. On ne fait pas un pays sans un peuple et sans projet de société. De fait, outre l’unicité de notre culture, notre réalité historique et la préservation de notre langue, la meilleure raison pour vouloir accéder à la souveraineté, c’est, très justement, la souveraineté, c’est-à-dire la pleine capacité d’agir sur notre destin collectif, et à une échelle qui soit nôtre et où nous avons les coudées franches.

Le projet doit être emballant, engageant, révolutionnaire, à la fine pointe de tout ce qui peut exister sur cette terre en matière d’égalité, d’équité, de fraternité, de solidarité, de justice sociale, d’innovation et de développement durable. Il doit être à la fois inclusif et exclusif; inclusif en suscitant l’adhésion de tous ceux et de toutes celles dont nous partageons l’existence sur ce territoire du Québec, peu importe leur origine, leur couleur, leur sexe, leurs croyances; exclusif dans l’optique où des choix clairs devront être posés quant au respect de l’environnement, à la sortie de l’ère du pétrole, à la construction d’une économie verte à laquelle chacun et chacune seront conviés.

Le petit train se met en branle. Il devra passer par chaque village, arrêter à chaque gare, s’intéresser à toutes les communautés et les intéresser, susciter l’espoir et l’adhésion, et annoncer le changement. Vigneault l’a déjà prédit : « La chambre d’amis sera telle qu’on viendra des autres saisons pour se bâtir à côté d’elle ».

Philippe Couillard répète avec dépit et sur un ton méprisant que ceux qui croient à la souveraineté rêvent en couleurs. Personnellement, j’aime mieux la couleur que le noir de l’austérité, ou celui tout aussi gluant d’un déversement de pétrole. Et si les TGV écrasent tout sur leur passage, ils peuvent aussi dérailler et se fracasser dans le décor. Et comme le dit avec tant de justesse l’adage populaire : « ti-train va loin ».

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