Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).
Bruno Jean est professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement rural UQAR.
Dans l’opinion publique comme dans les milieux scientifiques, on pense que le monde rural se caractérise par un manque de créativité et d’initiatives. Nous devons changer notre regard sur ce monde rural qui est biaisé par une sorte d’ethnocentrisme urbain. Les communautés rurales sont innovantes; de fait, l’innovation est pratiquement une nécessité vitale pour elles. Leur expérience devient alors utile pour toute la société qui peut apprendre des ruraux. Un changement de regard apparaît nécessaire : prendre conscience que nous pouvons apprendre des communautés rurales. Si nous pouvons apprendre des communautés rurales, c’est parce que les ruraux ont eux-mêmes appris dans trois grands domaines d’action qui, ensemble, conduisent à un véritable développement durable : aménager avec prudence leur environnement naturel, assurer leur développement économique et maintenir une vie sociale intéressante.
Sur le plan historique, rappelons quelques exemples de cette créativité : la mise en place d’un peuplement rural selon les « rangs », les mutuelles-incendie ancêtres des coopératives d’épargne et de crédit comme Desjardins, les coopératives forestières, les plans conjoints pour la mise en marché des produits agricoles.
De nos jours, sur le plan environnemental, cette créativité rurale se manifeste par des innovations comme les organismes de gestion en commun (OGC), la réserve faunique Duchénier, seule réserve gérée par les citoyens, les clubs-conseils agro-environnementaux en agriculture et les organismes de gestion des bassins versants. Sur le plan économique, la créativité a permis, entre autres, la mise en place des Caisses populaires, des coopératives de développement, des SADC, des CLD, des Fonds locaux de développement des systèmes locaux d’innovation (SLI) comme le cluster rural de La Pocatière. Sur le plan social, signalons les coops de solidarité en santé, les tables de concertation en agro-alimentaire, les écoles primaires multi-niveaux et les ententes intermunicipales de service. La place nous manque ici pour décrire toutes ces innovations sociales.
Grâce à leur créativité, non seulement les populations rurales ont été capables de s’adapter au changement, mais elles ont aussi offert une variété de modes de vie, de valeurs et de nouveaux modèles organisationnels et institutionnels qui ont été adoptés par d’autres milieux du reste de la société. Les premières tentatives d’autogestion dans les entreprises ont eu lieu dans le monde rural tout en contribuant à définir ce modèle original d’organisation du travail. Nous observons souvent que les ruraux ont été capables de mettre en place des versions adaptées d’institutions économiques et sociales qui ont été pensées pour des milieux urbains.
Toutes les innovations rurales décrites plus haut indiquent que de nouvelles ruralités émergent. Le monde rural prend sa place dans les sociétés contemporaines et il contribue à la prospérité collective. Les régions rurales sont des territoires d’avenir, et non les survivances ou les vestiges du passé dans le Québec moderne. Les collectivités rurales changent, s’adaptent, innovent, inventent de nouvelles formes de ruralité fort variées. Au Québec, de nouvelles manières de voir la ruralité se font jour, notamment à travers les sessions de l’Université rurale québécoise qui est devenue un forum de l’innovation rurale.
La ruralité québécoise, engagée dans un processus de revitalisation, est devenue un laboratoire grandeur nature où les secteurs économiques traditionnels comme l’agriculture et la foresterie se restructurent en inventant de nouveaux produits et de nouvelles manières de faire en utilisant des technologies de pointe. De nouvelles relations urbaines-rurales, basées sur une meilleure compréhension de la complémentarité rurale-urbaine et de l’occupation du territoire s’expérimentent. Les communautés rurales se mobilisent pour devenir les acteurs de leur propre développement, et leurs efforts doivent être soutenus par une politique rurale appropriée.
Pour en savoir plus
Jean, B. (2014) « A new paradigm of rural innovation: Learning from and with rural people and communities », dans OECD, Innovation and Modernising the Rural Economy, OECD Publishing, 112-126.
Jean, B., Desrosiers, L. et S. Dionne (2014) Comprendre le Québec rural, 2e édition revue et augmentée, Université du Québec à Rimouski – Chaire de recherche du Canada en développement rural – GRIDEQ – CRDT, 166 p.
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