
Tout au long de l’automne, on aura été témoins des coupes radicales dans plusieurs secteurs au Québec. Si le milieu culturel échappe, pour le moment, à des coupes directes, il se trouve fragilisé par les nombreuses compressions effectuées dans d’autres secteurs, comme l’éducation ou les municipalités. Ce sont des centaines d’emplois qui sont en jeu. Sur la page Web du Conseil de la culture du Bas-Saint-Laurent, Julie Gauthier a publié la liste désolante de ces mesures ainsi que les commentaires de quelques travailleurs du milieu culturel. La toute nouvelle directrice, qui a quitté la direction de la Coop Paradis pour celle du Conseil de la culture, arrive à un bien mauvais moment. Voici une entrevue réalisée avec elle en décembre dernier :
Mouton Noir – Comment voyez-vous 2015?
Julie Gauthier – Je vois l’avenir plutôt sombre. Les plus grandes pertes en ce moment, ce sont les Conférences régionales des élus (CRÉ) et les Centres locaux de développement (CLD). Dans les activités culturelles, on rencontre souvent des entrepreneurs, et ils ont tous été aidés par le CLD. Je ne sais pas comment on va pouvoir remplacer cette expertise. Pour les entreprises et les organismes qui sont en démarrage, c’est la seule porte d’entrée. Dans notre région, la CRÉ était vraiment « pro » culture. On avait la plus importante entente Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et CRÉ en dehors de Montréal. Et on ne sait pas si on va pouvoir la renouveler parce qu’on a besoin d’un partenaire régional pour une telle entente.
M. N. – Qui pourrait reprendre cette structure et ce mandat?
J. G. – Dans les dernières discussions avec les préfets, on voit une volonté de se réorganiser. Tout le monde est d’accord : ça prend un outil de concertation régionale élargi. Mais on a besoin de plus qu’un conseil d’administration. Les employés de la CRÉ ne se tournaient pas les pouces : ils préparaient les appels de dossiers, recrutaient les membres des jurys, etc. Ce ne sont pas les préfets qui pourront faire tout ça. Il y a aussi beaucoup de dossiers qui ne peuvent pas être traités localement. Les MRC les plus dévitalisées en profitaient parce que l’entente touchait toute la région. La culture, c’est comme la forêt, ça ne peut pas se gérer localement, il faut une gestion régionale. Les grands centres n’ont pas cette particularité. Ici, on a huit MRC toutes différentes : des rurales, d’autres plus urbaines. Ma plus grande crainte, c’est qu’il n’y ait plus de vision régionale.
M. N. – Il y a une grande tendance aux fusions et à l’élargissement des frontières de la région. On le voit avec les médias, les commissions scolaires et le ministère de la Culture, dont les bureaux de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent ont été fusionnés. Est-ce quelque chose qui pourrait arriver au Conseil de la culture?
Une épée de Damoclès pend au-dessus de la tête de tous les organismes. Notre entente de financement avec le ministère prend fin le 31 mars. Est-ce que l’entente sera renouvelée pour trois ans?
J. G. – Une épée de Damoclès pend au-dessus de la tête de tous les organismes. Notre entente de financement avec le ministère prend fin le 31 mars. Est-ce que l’entente sera renouvelée pour trois ans? Si on devient le seul organisme régional en culture, sera-t-on les seuls à gérer les ententes régionales? Ça pose plusieurs questions : si on gère les ententes et les enveloppes, est-ce qu’on va pouvoir continuer à accompagner les artistes et à les aider à remplir leurs demandes? On est vraiment dans l’extrapolation et on imagine toutes sortes de scénarios. Selon les discussions qu’on a eues, il n’y aurait pas de changements majeurs dans nos mandats, mais un de nos postes est en partie lié à l’entente régionale avec la CRÉ et la Commission jeunesse, on ne sait pas ce qui va arriver avec ce poste.
M. N. – Plusieurs autres mesures vont affecter le milieu culturel, telles la fin du Fonds de soutien à l’action bénévole et la diminution des commandites des sociétés d’État. Or, Hydro-Québec est un partenaire incontournable pour plusieurs organismes culturels de la région : en 2014, la société d’État a donné 10 000 dollars au Carrousel international du film, qui est, on le rappelle, dans un état précaire. Le festival de musique de chambre Concerts aux Îles du Bic et le Tremplin de Dégelis ont reçu le même montant. Le Festi Jazz international de Rimouski a reçu 15 000 dollars en commandite. En tout, près de 500 000 dollars ont été injectés dans des organismes de la région en culture. Comment le milieu peut-il gérer ça?
J. G. – C’est l’accumulation des mesures qui pose problème : une mesure, une coupe, on peut la gérer, mais ça vient de partout : la Commission jeunesse, la table de concertation Communauté ouverte et solidaire pour un monde outillé, scolarisé et en santé (COSMOSS), la restructuration en tourisme, etc. Pour le Paradis, que je connais bien, ces mesures affectent 75 % du budget. Pour plusieurs organismes, ça représente entre 20 et 70 % de leur budget. Souvent, si le CALQ était là, c’est parce que la CRÉ y était. Le gouvernement affirme que les budgets alloués dans la région ne seront amputés que de leur part « administrative ». Pour les CLD, on coupe 60 %. Mais dans l’administratif, on compte tout ce qui relève de l’accompagnement, l’aide pour remplir des demandes de bourses, des consultations et de la concertation et tous les services aux entrepreneurs. Tout ça est transféré aux MRC, mais elles n’auront pas le budget qui devrait suivre. Avec la CRÉ, on se retrouve aussi amputé de 60 %, et c’est ce qui permettait l’entente triennale de deux millions qui étaient investis en culture dans la région. Les MRC devront s’entendre pour répartir les fonds restants, mais les artistes en auront moins. Autre exemple de perte : le programme Villes et villages d’art et de patrimoine qui permettait l’embauche d’agents culturels. Est-ce que les MRC vont quand même reconduire ces postes? Les impacts de toutes ces décisions sont beaucoup plus grands ici que dans les métropoles, mais on dirait que ça ne compte pas. On a moins d’outils pour pallier tout ça : le mécénat, les fondations sont plutôt dans les grands centres. Notre CLD a investi autour de 6,2 millions dans les dernières années, ce qui a généré 58 millions en retombées dans la région. Si les coupes étaient purement économiques, on ne couperait pas. J’y vois plutôt des compressions idéologiques, parce qu’économiquement ce ne sont pas des décisions viables. On coupe dans la colonne des dépenses, mais on sabre aussi la colonne des revenus .
M. N. – Est-ce qu’on se penche sur un plan d’action?
J. G. – Avec les autres conseils de la culture, on a eu une discussion à notre assemblée générale annuelle, et on a exigé, avec la Gaspésie, qu’un comité se penche uniquement sur ce dossier. Comment peut-on se positionner et aider nos membres? Il faut préserver le plus possible nos acquis. Si on laisse aller, c’est un retour en arrière d’au moins dix ans.