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L’amertume du métal

Par Julie Francoeur le 2015/01
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L’amertume du métal

Par Julie Francoeur le 2015/01

Vétérane de lui. Ou comment j’ai avorté de sa guerre.

On dit de la possession qu’elle est un sentiment. Qu’en penses-tu (je n’en sais rien)? Ce que je sais, c’est que les féministes espagnoles ont beaucoup réfléchi à ce qui sépare l’amour de la possession. La possession n’est pas l’amour. Je sais aussi y avoir réfléchi, de façon erratique, depuis que j’ai survécu à sa violence. À ses cris de nuit, indifférents aux usages des heures. À ses assauts. Je sais que la fatigue aux yeux et l’évidence lourde de mon corps enceinte ont fait mentir son amour. Sa bienveillance.

Je sais l’amour, sur an all-weather road. Troisième étage, salle 13, midi, pas d’urine une heure avant. Pas de win-win kisses. Mais de l’acide folique en cinq milligrammes. Ben de la nausée.

Car peu à peu, une vie anormale s’était organisée. Et la structure du sol céda finalement sous le poids de piétinements d’oiseaux morts.

J’ai fréquenté la violence. Je fréquente aujourd’hui de chaudes plages de calme, où un contexte s’achève. De là où je suis, chus en paix avec l’amour. De là où je suis, j’appartiens à une espérance féministe, exigeante du point de vue de la Vérité.

Je sais être surnuméraire, à moi seule; être de trop. Je sais survivre à la violence, maîtriser les métriques, briser le silence…

*

Un dossier sur la violence de genre. Parce que l’humain est beau. Parce que la vie est résiliente. Parce les limites ultimes de l’espérance sont impulsives, plutôt que limitatrices. Parce qu’on souligne les 25 ans de la tragédie des polytechniciennes. Parce des femmes dénoncent. Parce qu’un système assure l’impunité des auteurs de violences faites aux femmes.

Ce dossier, cri de mon expérience vécue, bêle d’un Mouton qui s’affirme féministe.

Cet éditorial, cri de l’expérience, restera texte inachevé. Il n’est que bribe au cœur d’un processus de reconstruction. Écart de plume malaisant mon perfectionnisme, il n’est que parfum d’abandon. Un parfum cependant porté par l’espérance d’une société meilleure pour toutes et pour tous.

Ce dossier, je te le dédie à toi, femme dont j’ai récemment recueilli le témoignage. À toi, dont j’accueillerai peut-être un jour la peur. À toi qui en es venue à vivre ton corps comme une injustice à la suite d’un viol ou d’injures. À toi qui dénonces publiquement, privément : peu importe. À toi qui t’adaptes quotidiennement au silence. À toi qui es une femme d’exception, dans un monde d’exceptions aussi nombreuses que magnifiques. À toi, et à toutes les autres, qui as la beauté d’un jardin de septembre. Nous avons toutes la beauté des peaux de loup.

Ce dossier, cri de mon expérience vécue, bêle d’un Mouton qui s’affirme féministe. Ce dossier nous rappelle que nos principales mises en danger concernent l’intimité de nos foyers, de nos lieux de travail ou d’études, ainsi que celle des mouvements sociaux auxquels nous participons (qu’aurons-nous dit du sexisme de gauche?). Que la rue nous « protège ». Qu’elle nous appartient, à nous aussi. Que nous devons y scander nos slogans, les nôtres, ceux de l’injustice de genre qui traverse nos quotidiens. À nous, la rue. À nous, la désobéissance.

Et, pendant qu’on y est : laissons donc tomber nos vieux réflexes. Vivons cette tension fondamentale entre notre conscience de genre neuve et notre réflexe obéissant. Cette tension d’où nous viendra notre refus, voire notre mépris, de l’autorité patriarcale, sous quelques formes qu’elle se présente et continuera de se présenter à nous. D’où nous viendra notre défense d’idées anarchistes et féministes, inséparable d’un projet de contre-aliénation nécessaire.

Encolèrons-nous. Indignons-nous. Tenons-nous debout. Sans amertume dans la bouche, sinon celle du métal qui nous rappelle à notre féminité.

Car a woman knows how a woman feels.

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