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Dans la culture du viol

Par Pascale Parent le 2015/01
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Dans la culture du viol

Par Pascale Parent le 2015/01

Après une soirée bien arrosée, un gars que je connaissais m’a ramenée chez lui, en dehors de la ville. Une fois chez lui, ça allait vite, ce n’était pas ce que je voulais, mais je me disais que j’aurais dû y penser avant. Réticente, j’ai quand même « accepté » de « faire l’amour » avec lui. Je m’y sentais obligée, puisque j’avais accepté son invitation. – Témoignage d’une femme qui s’est forcée à consentir

Dans la mouvance des agressions non dénoncées, bon nombre de femmes ont osé dévoiler la violence qu’elles ont vécue. Nous les félicitons et soulignons leur immense courage. Dans cet article, nous voulons porter un regard vers des femmes qui n’ont pas parlé, ne se reconnaissant pas comme victimes d’agressions sexuelles, vers ces femmes, sinon toutes les femmes, qui ont eu des relations sexuelles sans désir pour éviter le chantage, le rejet, les insultes. Vers celles qui ont consenti à ce qu’elles ne désiraient pas afin de se sentir appréciées par les hommes ou par un seul d’entre eux.

La culture du viol se définit comme un ensemble d’idées et de comportements qui rendent les agressions sexuelles invisibles et excusables. Nous nous permettons même d’affirmer que cette culture plutôt hétéronormative1 intériorise chez le genre féminin une identité d’objet sexuel servant à assouvir les désirs et les ambitions du genre masculin. La culture du viol nous dit que les désirs et les ambitions des femmes peuvent se développer, mais sans contredire ceux des hommes. D’un point de vue pratique, cela explique qu’une femme, ayant eu envie avant et n’ayant plus envie maintenant, ne sait plus ce qui prime entre ses désirs et ceux de son partenaire. Elle finit par dire oui, même si, dans son for intérieur, la réponse est non. Est-ce vraiment du consentement? Si oui, à quoi a-t-elle consenti?

Nous assistons actuellement à une invasion de la pornographie et à une surenchère de la sexualité dans les publicités, les films, les séries, les soirées thématiques dans les bars. La sexualité s’expose comme une marchandise, comme un bien de consommation. Sur le plan éthique, si, dans cette promotion de la sexualité, les rôles des hommes et des femmes étaient équivalents et respectueux les uns des autres, les conséquences sociales seraient tout autres. Tout le monde au lit pour se faire mutuellement plaisir dans le respect de ses désirs, de ses limites et de son corps! Mais ce n’est pas le cas.

Dans cette culture du viol, je ne peux pas dire non, ni à un rapport, ni à une pratique, ni à la pornographie, ni même à une blague ou à une caricature que je trouve offensante.

La présente surenchère propose une sexualité qui nous semble de plus en plus violente et inégale. Les stéréotypes sexistes finissent inévitablement par s’immiscer dans la chambre à coucher, dans les relations intimes, dans les corps et les esprits. Ces stéréotypes proposent un modèle dans lequel l’homme doit être consommateur et la femme, objet de séduction et de désir. Dans ce modèle, le rapport sexuel met systématiquement l’accent sur l’orgasme masculin, laissant très souvent celui des femmes aux oubliettes faute de temps, d’intérêt ou d’expériences réussies. Ce rapport se vide de douceur et de partage, et ne favorise pas la considération des limites et des plaisirs divers. Devant ce modèle, nous dépersonnalisons notre sexualité en reniant la couleur propre de chacune et de chacun. Nous devenons toutes et tous objets, tels des instruments pour éjaculer la finale.

Dans cette culture du viol, je ne peux pas dire non, ni à un rapport, ni à une pratique, ni à la pornographie, ni même à une blague ou à une caricature que je trouve offensante. Je suis alors accusée d’être conservatrice, féministe enragée, « casseuse de party », antiliberté sexuelle. Pourtant, la liberté ne réside-t-elle pas dans le pouvoir de dire non? Et si malgré tout, j’écoutais ma petite voix, mon instinct, et j’osais dire non lorsque j’ai envie de dire non?

C’est tout un risque à prendre dans une société plutôt individualiste et antipathique, cette même société qui remet la responsabilité d’une agression sexuelle sur la victime. Que ce soit les victimes d’agression sexuelle ou les rapports dans lesquels nous refusons d’écouter notre instinct, la tendance est toujours de minimiser les conséquences et de nier le manque de consentement. Et dans les deux cas, les conséquences sont malheureusement trop importantes pour qu’on puisse passer ces évènements sous silence.

  1. L’hétéronormativé suppose l’hétérosexualité comme norme. Elle renvoie à une structure sociale liée à l’idée que les êtres humains se divisent seulement en deux catégories distinctes et complémentaires : l’homme et la femme, qui seraient liés par un désir mutuel (Glossaire du Cahier du Forum des États généraux du féminisme, 2013). Considérant que dans la culture du viol, ce sont des hommes hétérosexuels qui agressent des femmes, nous pouvons qualifier cette culture d’hétéronormative.

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