
Dans cette section, le rédacteur en chef du Mouton Noir, Marc Simard, partage avec les lecteurs ses coups de gueule, des textes coup de cœur de collaborateurs et encore plus…
Cette semaine, Marc vous invite à lire la lettre des professeurs et de la directrice de l’Institut des sciences de la mer (ISMER) à propos du projet de chaire de recherche sur le béluga financée par TransCanada.
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Voilà un mois, un article du journal Le Devoir informait de possibles négociations entre la compagnie TransCanada et l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) au sujet d’une chaire de recherche sur le béluga. Dès lors, l’ISMER et ses professeurs ont vécu des attaques médiatiques répétées. Ces assauts, remplis de demi-vérités ou de fausses informations, mettaient en cause l’intégrité, l’indépendance et la réputation de l’institution ainsi que les compétences et le jugement critique de ses membres. Ces critiques venaient de toutes parts, d’universitaires, de multinationales de l’environnement, de néospécialistes d’estrades, etc. Tous nous disaient ce qu’il fallait faire. Depuis un mois, les professeurs semblaient muets et ne paraissaient pas participer au débat. Aujourd’hui, nous voulons répondre à certaines attaques et montrer que notre silence n’était pas une acceptation des critiques, ni de la résignation ou de la passivité. En silence, il se passait des choses que nous désirons faire connaître.
L’intégrité, l’indépendance et la réputation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et de son institut ISMER proviennent de 45 ans de travail et du mandat gouvernemental, donné en 1969, de développer l’océanographie au Québec. Les intervenants de l’époque trouvaient cela si important qu’ils l’ont enchâssé dans le texte fondateur de l’UQAR comme l’un des deux axes prioritaires de développement de cette nouvelle université. Depuis 45 ans, des générations de professeurs ont formé et continuent de former des chercheurs, des étudiants et des professionnels en sciences de la mer en provenance du Québec, du Canada et de nombreux pays. L’excellente formation reçue par nos étudiants et leurs compétences scientifiques à l’avant-garde des derniers développements sont partout reconnues et leurs travaux sont publiés dans les meilleures revues savantes. Ils travaillent aussi partout dans le monde. Depuis 45 ans, nous avons développé une compétence exceptionnelle sur le Saint-Laurent marin que nous côtoyons tous les jours. Il est donc normal, comme spécialistes reconnus des milieux estuariens et côtiers, de participer et d’éclairer les débats qui visent ces milieux marins. Nous voulions éclairer les débats, mais encore fallait-il que les participants aux débats veuillent vraiment parler science et non pas utiliser un cadre scientifique pour promouvoir leurs intérêts corporatifs que ces intérêts soient noirs ou verts!
Le silence cache parfois des dynamiques complexes et des procédures rigoureuses de protection.
L’ISMER est une entité bicéphale. Elle est constituée d’une directrice et des professeurs regroupés en Assemblée institutionnelle. Cette Assemblée a une grande autonomie. Elle est critique de l’administration, défend l’indépendance et l’intégrité de ses professeurs et participe au déroulement des tâches professorales. L’Assemblée et la direction collaborent sereinement et prennent le temps de discuter des questions complexes de fonctionnement et de recherche. Pour comprendre le fonctionnement de l’ISMER, nous allons prendre la demande de création d’une chaire invoquée dans les médias. En septembre dernier, l’UQAR est contactée par une firme de marketing pour sonder l’intérêt de l’université envers la création d’une chaire industrielle de recherche ayant pour thème le béluga. À la fin septembre, la directrice présente à l’Assemblée la demande de chaire. Rapidement, la discussion sur une chaire industrielle sur le béluga est interrompue. S’il doit y avoir une chaire, elle ne sera pas industrielle et la chaire devra étudier l’écosystème marin du Saint-Laurent, rien d’autre! L’ISMER en informe TransCanada au début novembre, qui accepte le principe. La proposition de création d’une chaire sur l’écosystème marin du Saint-Laurent est un choix éclairé et non anodin.
Pour comprendre les impacts que génèreront les infrastructures et activités que prévoient réaliser TransCanada ou d’autres entreprises, il faut avoir une compréhension fine du fonctionnement de ce vaste système. Une étude localisée à la seule région de Cacouna serait nier la complexité de l’estuaire du Saint-Laurent et l’interdépendance de ses régions et des processus biologiques, chimiques, géologiques et physiques qui s’y marient.
La réflexion des membres de l’ISMER ne s’arrête pas à refuser une chaire industrielle et à indiquer qu’il faut étudier le Saint-Laurent marin. Des discussions sérieuses traitent d’éthique et de l’impact d’un financement de TransCanada. La directrice et les professeurs sont sensibles aux réalités de la recherche avec des entreprises privées et des ministères. Face à l’implication possible de TransCanada et avant de discuter une programmation scientifique, les membres de l’ISMER discutent d’un cadre de fonctionnement. Ce cadre vise à garantir les standards les plus élevés d’intégrité scientifique, de liberté académique et la libre circulation et publication des résultats issus de la recherche. Ce document est transmis à TransCanada qui en accepte les principes. Des discussions sur la compréhension réciproque du contenu étaient en cours, lorsque collégialement les membres de l’ISMER ont pris la décision de mettre fin aux discussions sur le projet de chaire sur l’estuaire du Saint-Laurent. Aucun professeur ne voulait assurer le leadership et la mise en œuvre d’une chaire dont l’objectivité était mise en cause avant même sa conception. Chaque professeur a ses raisons personnelles pour ne pas supporter une chaire de TransCanada. Cela va, entre autres, de la pression des groupes environnementaux à l’échéancier du projet et le plan de marketing de TransCanada, en passant par la recherche d’autres sources de financement. La fin des discussions ne signifie en rien que TransCanada avait présenté des exigences pour limiter la portée du document de fonctionnement qui leur avait été soumis.
L’ISMER a mis fin aux discussions sur une chaire de recherche financée par TransCanada mais cela ne nous empêche pas de lancer un cri du cœur qu’il faut un programme majeur de recherche sur cet environnement marin exceptionnel. La portion marine du Saint-Laurent est et sera de plus en plus sujette à des atteintes graves si d’importantes infrastructures industrielles sont développées le long de ses côtes et si le transport maritime y est accru considérablement. Considérant notre situation géographique aux hautes latitudes et le couvert de glace qui s’y développe, le Saint-Laurent marin est particulièrement sensible aux changements climatiques, à tout déversement de contaminants ou introduction d’espèces exotiques envahissantes par des eaux de ballasts ou à d’autres évènements catastrophiques, surtout que les gouvernements n’investissent pas assez dans la prévention et les équipements nécessaires pour faire face aux dangers actuels et ceux potentiels à venir.
Pour conclure, nous tenons à souligner qu’à notre connaissance, nous avons vécu la plus grande attaque spontanée, collective et agressive contre la liberté académique et notre activité de professeur d’université. Cela nous amène aux nouveaux censeurs du XXIe siècle. L’église a déjà joué un rôle important pour contrôler l’information. Au cours du mois de novembre, à l’ISMER, nous avons entendu une multitude de censeurs environnementaux, certains étaient très organisés comme des multinationales de l’environnement ayant leur intérêt corporatif tout comme TransCanada, d’autres étaient des individus, là aussi veillant à leur intérêt, d’autres étaient guidés par leur bonne foi qu’il faut défendre et préserver l’environnement. Tous ces intervenants nous disaient de ne pas participer à une chaire financée par TransCanada. Nous sommes inquiets de la façon dont ces nouveaux censeurs sont intervenus pour tisser une toile d’opinions et d’obscurantisme visant à empêcher notre société de disposer des meilleures données et compétences possibles pour agir et défendre les intérêts du Québec et de notre environnement. Nous l’affirmons, un programme de recherche sur le Saint-Laurent marin est un outil de préservation de notre patrimoine marin et un outil capable d’informer et d’aider à une utilisation judicieuse de ce milieu. Les décisions prises par notre société sur des enjeux marins importants doivent être éclairées par des données scientifiques objectives.
Les professeurs et la directrice de l’ISMER
- Jean-Pierre Gagné, professeur
- Ariane Plourde, directrice de l’ISMER
- Philippe Archambault, professeur
- Céline Audet, professeur
- Jean-Claude Brethes, professeur
- Daniel Bourgault, professeur
- Cédric Chavanne, professeur
- Dany Dumont, professeur
- Gustavo Adolfo Ferreyra, professeur
- Karine Lemarchand, professeur
- Martin Alejandro Montes, professeur
- Émilien Pelletier, professeur
- Alexandra Mina Rao, professeur
- André Rochon, professeur
- Guillaume St-Onge, professeur
- Réjean Tremblay, professeur
- Gesche Winkler, professeur
- Huixiang Xie, professeur