«Le pire fléau que nous devons affronter aujourd’hui est le système capitaliste. C’est la cause de tous les problèmes à résoudre. » C’est pas moi qui le dis, c’est un clown. Médecin en plus! Patch Adams, ça vous dit quelque chose? Un révolté, un indigné.
Les raisons de s’indigner sont nombreuses. Je suis un enfant des années 80. Notre idée du futur, c’était Michael J. Fox sur un hoverboard pis des chars volants qui carburent aux poubelles. Aujourd’hui, nous sommes dans le futur. On se bat pour protéger notre eau potable contre les compagnies pétrolières pis Michael J. Fox a le Parkinson. Quand j’entends que nos frères et sœurs de Ristigouche en Gaspésie se font « enculer » au pied du mur par une poursuite judiciaire de la pétrolière Gastem, j’ai envie de me soûler au cocktail Molotov. J’espère un bal masqué de révoltés cagoulés où la piñata est le PDG de la compagnie. Juste pour voir, une fois éclaté, quel bonbon sortira de cet homme. Par chance, comme l’écrit le poète François Guerrette : « Les flammes ne déclarent jamais forfait. » Les raisons d’espérer et d’être galvanisé par des gens inspirants sont tout aussi nombreuses.
Je reviens à Patch Adams. Il y a quelques mois à peine, j’ai assisté à sa conférence. Des centaines de personnes rassemblées pour entendre un clown nous parler d’amour. D’entrée de jeu, il lance : « Je suis fou. » Ce médecin clown est devenu célèbre grâce au film américain qui porte son nom. Mais je vous assure que, dans la vraie vie, Patch est beaucoup plus radical que son alter ego cinématographique présenté comme un Calinours. Il est aux antipodes de l’idéologie hollywoodienne avec une démarche de vie révolutionnaire qui provoquerait un caca nerveux dans les culottes trop chères de l’élite américaine. Lors de sa conférence, Patch nous a parlé de ses visites dans les camps de réfugiés. Un clown parmi les bombardements. Il s’est fait tirer dessus, s’est fait battre. Trois cents jours par année, il fait le clown dans les « pires » endroits au monde. Choquant et bouleversant, il nous a parlé d’une petite fille de cinq ans, violée, qui se laissait mourir de faim en Amérique centrale et qu’un homme au nez rouge a ramenée à la vie. Le plus beau? Patch Adams n’est qu’un être humain ordinaire.
Si j’en parle, c’est pour qu’on s’en inspire, et non pour appeler un sauveur : un mec qui nous réglerait ça en héros. Trop souvent, on exige de nous qu’on se tienne debout tout seul. On demande aux journalistes d’être objectifs dans un empire médiatique qui ne l’est pas, on demande à l’artiste d’être engagé devant un public qui ne l’est pas, au politicien d’être intègre dans un système qui ne l’est pas. Mais ce n’est pas d’un super héros dont on a besoin, c’est de valorisation, c’est de s’allumer les uns les autres comme des météores, de remplacer culpabilité par révolte pour s’attaquer à la machine et à l’idéologie qui la soutient.
La valorisation. Essentielle à l’épanouissement humain. Mais comment se valorise-t-on en Occident? Par le salaire. Le cash qui indique une réussite individuelle, qui amène une notoriété. Les défenseurs de la compétitivité du capitalisme nous diront que « l’argent est comme la carotte au bout du museau de l’âne, une incitation à se dépasser individuellement, à attiser la concurrence grâce au salaire ». Le résultat est que les gens les plus créatifs travaillent en publicité pour nous vendre avec brio les pires merdes, que nos avocats les plus brillants se spécialisent en fiscalité et paradis fiscaux. Nos cerveaux les plus lumineux sont à la solde des grosses corporations privées. Ce que l’on valorise nous détruit et le chemin vers cette « réussite » nous déshumanise. « Vous apprendrez à vivre dans ce qui vous tue », dixit le poète François Guerrette. Et si on changeait le paradigme de récompense et de valorisation? Que l’argent redevienne un simple outil d’échanges et non de valorisation. Je veux savoir comment tu vas, pas combien tu vaux. Revenons à Patch Adams. L’homme a créé l’institut Gesundheit, un hôpital révolutionnaire prônant une médecine plus humaine, qui offre des soins gratuits et où tous les employés gagnent le même salaire, du médecin à l’infirmière sans oublier le concierge. Mais la compétitivité? Pourtant, mille médecins sont inscrits sur une liste d’attente pour y travailler. Pourquoi? Les critères de valorisation ont changé, une autre carotte que juste le cash. On vient chercher une aventure solidaire, humaine. C’est vrai qu’il est fou ce clown. Mais être fou dans une société malade, n’est-ce pas un signe de santé?
À la fin de sa conférence, après deux heures et demie drôles, touchantes et sans tabou, l’homme de 70 ans est revenu sur scène récolter ses applaudissements. En toute humilité, il a baissé son pantalon et nous a montré ses fesses. Un beau moon de docteur Patch Adams. Ah! Je médite encore là-dessus.