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Deschooling society

Par Jean Bélanger le 2014/09
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Deschooling society

Par Jean Bélanger le 2014/09

À l’été 2011, perché dans une dune de sable aux Îles-de-la-Madeleine, je scrutais l’horizon dans l’impossible espoir d’apercevoir la terre de ma Belle Province. De là, on peut voir le golfe qui s’étire à perte de vue, direction la Grand’Terre. J’avais cette impression de perdre mon regard dans l’infini. Je découvris alors les premières pages du livre Une société sans école, d’Ivan Illich, où l’on peut lire : « Je voudrais m’efforcer de montrer que cette confusion entretenue entre les institutions et les valeurs humaines, que le fait d’institutionnaliser ces valeurs nous engage sur une voie fatale.1 » Après m’être demandé pourquoi je n’avais pas préféré apporter un bon roman, j’ai pensé que ce ton révolutionnaire pourrait me transporter au cœur du lien qui unit l’école et la société. Un sujet juste assez immense pour la vue qui s’offrait à moi.

Pour le penseur, la reconnaissance sociale de l’école est rendue possible par les valeurs qui la déterminent. Pernicieusement, le fait d’octroyer une mission sociale à l’université amène celle-ci à vouloir atteindre des objectifs de performance selon les critères de l’idéologie dominante. Or, l’emprise du consumérisme effréné et éternel est si puissante qu’elle remplace désormais l’influence de la religion dans la société occidentale. La marchandisation du savoir et la qualification absolue par le diplôme dévalorisent la culture générale, l’acquisition de connaissances théoriques et la quête spirituelle. Inféodée aux dogmes capitalistes, l’université ne peut plus s’affirmer comme la légitime forteresse de la connaissance.

Le seul moyen de faire de l’école un lieu d’éducation universelle serait de libérer la société du joug des institutions scolaires. Il faut ni plus ni moins abolir l’école. Et ça devrait durer au moins le temps de permettre à une génération de la réinventer. On pourrait ainsi briser le cycle de reproduction des inégalités sociales et des valeurs viciées. Alors que la session étudiante est en péril, Illich jubile. Sa solution radicale suppose que la population voudra continuer d’apprendre. C’est pourquoi diverses initiatives permettraient à un enseignement alternatif de s’organiser. La mise sur pied d’une université populaire par des étudiants en grève de l’Université Laval correspondait à l’archétype de ce qu’Illich imaginait. Arrêter l’école, débattre des enjeux à partir de nouvelles prémisses, attaquer l’ordre établi, appeler la jeunesse à construire son avenir; voilà qui évoque la révolution illichienne. À la plage, je ne me doutais pas de l’espace que ces idées allaient bientôt occuper sur la scène québécoise.

Une société sans école permettrait donc l’appropriation du processus d’apprentissage par les apprenants. À travers la grève, les étudiants participaient pleinement à leur éducation. En opposition à un enseignement vertical qui permet à une classe éduquée d’inculquer un système de valeurs et des connaissances établies à de futurs endoctrinés, la « génération qui aura grandi sans école obligatoire pourra recréer l’université2 ». Suivant cette logique, une victoire percutante des Carrés rouges aurait eu le pouvoir de déstabiliser notre conception actuelle du système éducatif de manière à semer les graines d’un nouveau modèle d’institutions scolaires. En ce sens, la hardiesse du mouvement étudiant témoignerait d’une prise de responsabilité de la jeunesse envers son avenir. Le retour au pouvoir des libéraux a fait dire à plusieurs que le printemps étudiant n’aura été que l’expression d’une utopie révolutionnaire, apanage d’une jeunesse qui sera bientôt rattrapée par la désillusion – ou qui l’est déjà.

La CLASSE, bien qu’elle ne réclamait pas l’abolition de l’école, a pleinement incarné cet esprit révolutionnaire. Son déni du pouvoir des élites et son radicalisme avoué l’ont amenée à réclamer la grève sociale. Les manifestations se sont amplifiées, unissant tous les griefs envers le gouvernement. La désobéissance civile lui est apparue comme une manière raisonnable de perturber un ordre libéral déconnecté du réel. En visant la reconfiguration des rapports de domination, la CLASSE nourrissait une utopie qui se suffisait à elle-même.

Cet utopisme du mouvement étudiant, incarné par la CLASSE, a toutefois permis le renouvellement des regards sur les enjeux éducatifs et sociaux. Désormais, la jeunesse du Québec pourra regarder l’horizon en voyant autre chose qu’une mer vertigineuse. En espérant voir réapparaître le rêve, elle cherchera encore à y distinguer la terre.

  1. Ivan Illich, Une société sans école, Seuil, 1971.
  2. Ibid., p. 70.

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