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Appel pressant au ministre de l’Éducation

Par Normand Baillargeon le 2014/09
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Appel pressant au ministre de l’Éducation

Par Normand Baillargeon le 2014/09

Monsieur le Ministre,

Je suis en mesure de vous affirmer avec certitude que dans nos écoles, dans nos commissions scolaires, dans les départements de nos universités où on forme et on perfectionne nos maîtres, et jusque dans le ministère que vous dirigez, on enseigne, on diffuse, on propage, on répand, et parfois même on commercialise et on vend à fort prix des idées non seulement fausses, mais aberrantes, ainsi que les pratiques, souvent nuisibles et parfois même dangereuses, qu’elles commandent.

Je ne lance pas à la légère ces affirmations, que je sais graves. Fort de mon quart de siècle de présence dans le milieu de l’éducation, j’ai même proposé, dans mon récent ouvrage Légendes pédagogiques, un bilan que personne, à ma connaissance, n’a contesté, de certaines de ces idées radicalement fausses qui circulent au Québec en éducation et qui inspirent des pratiques pédagogiques dont on peut raisonnablement craindre, d’une part, qu’elles causent du tort à plusieurs des enfants qui les subissent et, d’autre part, qu’elles représentent, pour l’État, des dépenses aussi considérables qu’indéfendables.

Je sais par exemple, au-delà de tout doute raisonnable, que des aberrations comme le programme Brain Gym ou l’idée que nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau ou l’idée que chacun de nous est plutôt cerveau gauche ou cerveau droit, ou qu’il existe des styles d’apprentissage ou des intelligences multiples sont au nombre de ces idées. Il y en a d’autres, bien entendu, et c’est avec plaisir que je vous enverrai une copie de mon livre pour vous les faire connaître.

Je sais tout cela avec certitude. Mais ce que j’ignore cependant, Monsieur le Ministre, comme toutes les personnes qu’inquiète cette situation, c’est à quel point, précisément, ces idées sont présentes dans tous ces lieux que j’ai nommés. Et si nous l’ignorons, c’est à cause de vous — ou plus précisément du ministère que vous dirigez.

Car ce ministère, que nous avons été plus de 500 à alerter par pétition sur cette situation, ce ministère qui a le devoir moral et politique de veiller au bien commun en matière d’éducation et au sérieux avec lequel il est servi, ce ministère se refuse à faire son devoir, un devoir que lui seul peut accomplir.

Votre prédécesseure a en effet répondu à notre demande de veiller à ce que les écoles et commissions scolaires ne fassent pas, souvent à grands frais de fonds publics, la promotion de théories ou de pratiques fumeuses. Elle a répondu, donc, qu’il existe, conformément à la Loi sur l’instruction publique, dans les écoles, des mécanismes pour prendre des décisions relatives aux pratiques pédagogiques et au perfectionnement des maîtres et contre lesquelles le ministère ne peut aller.

Cette réponse, qui revient à s’en laver les mains, est aberrante et inacceptable. Pour le comprendre, imaginez, vous qui êtes médecin, qu’elle ait été donnée à des citoyennes et à des citoyens s’inquiétant d’un hôpital qui préconise l’homéopathie pour soigner les cancéreux; ou d’une faculté de médecine dans laquelle on enseigne qu’il faut avoir recours au lavage intestinal pour soigner les diabétiques; ou d’un CLSC qui pratique les saignées pour lutter contre le tabagisme. L’analogie, hélas, n’est pas entièrement fausse…

Ce n’est pas aux enseignantes et aux enseignants, Monsieur le Ministre, de se prémunir contre les aberrations qui leur sont enseignées ou qu’on leur propose, mais bien aux institutions et donc, en bout de piste, au ministère.

C’est pourquoi je vous demande, avec insistance et empressement, de faire dresser le portrait des aberrations — réelles, documentées, patentes — qu’on met en avant, qu’on propage, qu’on promeut ou qu’on vend dans le monde de l’éducation au Québec, où qu’elles se trouvent et de faire ensuite le ménage qui s’impose, pour assurer que nos enfants reçoivent, de maîtres formés selon nos connaissances les mieux établies, un enseignement de la plus haute qualité.

Je veux y insister : je ne parle pas ici de chasse aux sorcières et je n’ai aucunement en tête de lutter contre des pratiques ou des idées simplement polémiques ou discutables, mais bien de repérer des idées aberrantes que la communauté scientifique rejette sans appel et récuse unanimement.

Vous contribueriez aussi ce faisant, conformément au programme de votre parti, à assainir les finances publiques — puisque ces pratiques non fondées coûtent, en certains cas au moins, terriblement cher au trésor public.

C’est d’ailleurs également le cas de pratiques qui, sans être absolument aberrantes, sont bien peu justifiables si on examine ce que dit à leur sujet la recherche crédible. Prenez par exemple ces tableaux blancs interactifs dont on a équipé toutes nos écoles ou peu s’en faut : eh bien, le croiriez-vous, la recherche, si seulement on l’avait consultée et prise au sérieux, aurait conduit à freiner considérablement, pour ne pas dire entièrement, l’élan pour ces outils qui a incité votre propre parti à en faire l’acquisition — c’était, il est vrai, à l’époque où ce n’est pas vous qui étiez ministre de l’Éducation et cela me donne des raisons d’espérer que vous répondrez favorablement à ma demande.

En espérant recevoir sous peu de vos nouvelles et en vous promettant mon appui le plus total si vous entreprenez cette indispensable et herculéenne tâche de nettoyer les écuries d’Augias de l’éducation, je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

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