
Au Québec, il est surprenant de constater que plus d’une femme sur quatre aimerait accoucher avec une sage-femme, mais que seulement 1,7 % des accouchements ont lieu hors des hôpitaux. De prime abord, s’intéresser à l’expérience des femmes qui s’identifient à la pratique sage-femme, c’est se questionner sur les modèles de soins périnataux face auxquels elles se retrouvent a priori. De plus, le suivi auprès d’une sage-femme impliquant un accouchement physiologique, en accord avec les processus naturels du corps féminin et sans interventions médicales, il est d’intérêt de s’attarder sur ce qu’elles y recherchent.
Il existe dans le milieu de la naissance, de façon globale, deux univers. D’une part, celui qui correspond à la tendance générale, que Rothman et son équipe appellent le modèle médical et que Davis-Floyd, anthropologue de la naissance, qualifie de technocratique1. D’autre part, une autre voie, le modèle sage-femme ou holistique. Ces modèles de soins périnataux illustrent deux conceptions opposées de la naissance qui, selon les cas de figure, peuvent s’amalgamer, créant ainsi d’autres nuances2. Ainsi, au Québec, le suivi de grossesse courant découle d’une conception médicalisée du corps de la femme enceinte. Davis-Floyd montre comment la formation des obstétriciens reprend l’idée du « corps-machine ». L’accouchement en milieu hospitalier se vit comme sur une chaîne de montage : le produit fini étant le bébé, en bonne santé de surcroît, la mère n’étant qu’un sous-produit. Les conséquences d’une telle approche sont nombreuses tout au long de la grossesse et particulièrement pendant l’accouchement, car si le corps est une machine, il peut avoir des défaillances; la « machine » ne peut fonctionner toute seule, on doit la surveiller et l’encadrer. C’est là qu’on parle de médicalisation de la naissance. On pourrait même parler d’une biomédicalisation de la naissance avec l’avènement de la biologie moléculaire et des technologies de l’information. La grossesse prend des allures de maladie avec ses symptômes, son évolution et les prescriptions thérapeutiques qui lui sont propres. On ne se contente pas de surveiller et d’encadrer la grossesse, on la gère, on évalue les risques, on dépiste davantage les possibles complications. La prise en charge médicale se transforme en une gestion de statistiques.
Plusieurs recherches québécoises ont mis en exergue ce processus de médicalisation de la naissance et l’importance d’interventions techniques au détriment des facteurs humains au moment de la prise de décision des professionnels de la santé. Plusieurs femmes chercheront des issues à cette déshumanisation des soins. Ainsi, certaines solutions en matière de santé, tels que la pratique sage-femme ou l’accompagnement à la naissance ont pris de l’ampleur.
La pratique sage-femme est une des réponses données aux parents qui réclament le droit de choisir entre les solutions qui leur conviennent et désirent que les interventions systématiques cessent. Selon les propos des sages-femmes elles-mêmes, les femmes québécoises ont recréé la profession, elles l’ont façonnée selon leurs souhaits de vivre des naissances humanisées sans toutefois être dans la marginalité. En fait, la sage-femme croit en la capacité de la femme à mettre au monde son enfant et à la normalité des processus physiologiques de la reproduction. Elle partage l’expérience de la naissance avec les familles plutôt que d’être dans un rapport de pouvoir. Nombre de recherches concluent sur un bilan positif de la pratique sage-femme; les femmes qui accouchent à la maison ou à la maison de naissance, donc généralement avec une sage-femme, sont l’objet de moins d’interventions et ressentent plus de satisfaction quant à la naissance de leur enfant.
Alors que les mères sont bombardées de messages sur les risques de la maternité et qui encouragent l’utilisation de médication pour anesthésier la douleur, certaines mères (et leur partenaire) souhaitent reprendre du pouvoir sur l’expérience du devenir parent, bref avoir la possibilité de faire des choix éclairés et ainsi constituer le projet de naissance qui leur convient. Les femmes mettent de l’avant leur capacité de choisir, elles se positionnent à contre-courant des pratiques médicalisées qui entourent majoritairement la naissance au Québec, et choisissent d’être libres de leurs corps, de leurs mouvements, d’être des actrices de leur grossesse et de leur accouchement : « De cette ‘’marginalité’’ [la naissance avec une sage-femme] pourrait naître bien des révolutions, des prises de conscience, des redécouvertes… »
- Pour Davis-Floyd, qualifier ainsi les soins périnataux de technocratiques met en exergue la réalité culturelle dominante de la bureaucratie et de ses dimensions hiérarchiques au sein même d’une médecine empreinte d’efficacité. L’obstétrique s’inscrit, selon elle, au cœur du paradigme technocratique présent dans les sociétés industrialisées, qui valorise la science, la technologie, le patriarcat et les institutions au détriment de la nature, des familles et des femmes.
- Selon Rothman et son équipe, le titre du professionnel ou de la professionnelle n’est pas garant de son approche de la naissance.