Je suis humoriste. Le rédacteur en chef du Mouton Noir m’a justement engagé pour mon « humour ». Y m’a dit : « On cherche un comique pas trop éduqué, pour faire changement des universitaires qui écrivent dans le journal habituellement, alors j’ai pensé à toi. T’as carte blanche Dubé. » Flatté, vous comprendrez que j’ai accepté sans hésiter!
J’adore cet art de la scène. Je vois l’humoriste comme un genre de Batman qui est allé au front, qui a eu mal et qui se relève : stand-up! J’aime l’aspect minimaliste : un artiste et un micro. La difficulté est dans le fait que ça doit avoir l’air très simple, improvisé même. Combien de fois on a entendu un mononcle raconter une joke de Piment fort et dire : « Je serais un bon humoriste moé. » Je te confirme que non! Beaucoup de gens chialent contre l’humour. Les humoristes ont le dos large. À écouter certains détracteurs, ce serait un humoriste qui aurait volé la jambe de Terry Fox. Mais je me confesse : certains critiques ont raison. Et j’en rajoute!
On sait que Gilbert Rozon adore attirer l’attention sur lui comme une jeune princesse qui fait la tournée des bars, la jupe trop courte et l’anus rose bonbon. Le mec essaie de répandre la rumeur que sa cenne donne bonne haleine : la paparmane du showbiz. Mais en vérité, Rozon et son Festival Juste pour rire forment une machine à propagande néolibérale. Lors des galas, on invite de plus en plus de vrais personnages politiques et médiatiques à participer à des sketchs. Ainsi, le vrai Denis Coderre, le vrai Richard Martineau, le vrai François Legault ont poussé des blagues. Serions-nous en pénurie d’imitateurs? Dans ces circonstances, l’humour qui dénonce n’existe plus, car il se fait avec la complicité et la participation du pouvoir. L’élite dirigeante nous fait rigoler, alors on se dit que « c’est du bon monde dans le fond ». L’humour politique est plus présent que jamais au Québec, mais ce sont ceux qui ont le pouvoir qui s’en servent à leur avantage. Ce n’est pas parce qu’on met un nez de clown à un lion qu’il est moins dangereux. Il n’est jamais là « juste pour rire ». Dernièrement, dans La Presse, on pouvait lire : « Le vérificateur général du Québec doute du bien-fondé de subventions de plusieurs millions de dollars versées par Tourisme Québec au Groupe Juste pour rire. » Des millions qui ont été versés à l’époque où Rozon disait que les manifestants du printemps étudiant mettaient l’économie en danger. C’est la meilleure joke de tout le festival!
Comment les vedettes de l’humour peuvent-elles critiquer l’élite bourgeoise alors qu’elles en font partie?
L’humoriste doit-il être un fou qui rit des rois ou un roi qui rit des fous? On raconte plus de blagues sur les B.S. que sur Pierre Karl Péladeau lors du Festival Juste pour rire commandité par Vidéotron et diffusé à TVA. La moquerie a un coût. Rire de ceux qui sont en bas de l’échelle sociale coûte moins cher à une carrière : on a les moyens de se payer leur tête.
Comment les vedettes de l’humour peuvent-elles critiquer l’élite bourgeoise alors qu’elles en font partie? C’est comme si à l’époque de Duplessis, l’Église catholique avait créé un festival d’humour et que les curés s’étaient mis au stand-up. Pas certain qu’il y aurait eu beaucoup de critiques à l’égard du Vatican et du Pape. Ils auraient fait l’humour en position du missionnaire.
Notre système économique a perverti le travail d’écriture de l’humoriste. C’est une écriture capitaliste. L’humoriste cherche à « économiser » le nombre de mots pour « accumuler » le plus de punchs possible, faire du « profit » avec le rire et « bâtir » une « carrière » dans une « industrie » de l’humour.
Et la publicité? Est-ce sain qu’une vedette se serve de sa popularité et de son talent pour se transformer en vendeur de chars, d’assurances ou de gratteux? Personnellement, quand j’aime un artiste, je lui donne ma confiance. Si un gars comme Fred Pellerin faisait des annonces de suppositoires d’uranium, je m’en mettrais dans le péteux sans me poser de question! « J’ai le rectum en train de fondre. Mais si Pellerin me le vend, c’est correct! »
La question que je me pose : combien ça coûte de se payer la tête de l’industrie de l’humour?