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De bonne foi

Par Patricia Couture le 2013/11
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De bonne foi

Par Patricia Couture le 2013/11

On se fait assez rebattre les oreilles quand on vit outre-mer : les Québécois sont gentils, adorables, chaleureux, accueillants, authentiques. De cette réputation Tourisme Québec a d’ailleurs fait, avec raison et brio, le leitmotiv d’une campagne publicitaire dont se régale l’Europe depuis quelques saisons et où l’on apparaît, sur fond de nature grandiose, comme étant « génétiquement sympathiques ». Que s’est-il donc passé pour que le gouvernement forcément gentil et tolérant lui aussi de ce peuple complaisant et plein de bons sentiments à l’égard d’autrui, habitant un pays pourtant édifié sur les fondements de l’immigration, juridiquement et constitutionnellement garant de la liberté de culte, n’en vienne à proposer une Charte destinée à réduire et « baliser » cette liberté ?

Eh bien, il s’est passé la même chose que partout ailleurs. La même chose que dans tous les « vieux pays » occidentaux dont la culture, la langue, l’identité sont assises depuis beaucoup plus longtemps que les nôtres sur le socle de l’Histoire et qui font appliquer des règles de proportionnalité constitutionnelle très similaires reposant sur des principes rigoureux de liberté de religion. Il s’est produit le même phénomène chez nous que dans tous ces États autoproclamés terres d’accueil et de tolérance. Il s’est produit un choc qu’aucune des plus humanistes de nos constitutions n’avait envisagé : est arrivé l’Islam. Est arrivé que la tolérance est devenue intolérable de part et d’autre parce que, comme a dit quelqu’un dont citer le nom serait faire semblant de le connaître, « la tolérance ne devrait être qu’un état transitoire. Elle doit mener au respect. » Et le respect ne peut se faire que dans l’acceptation des différences, malheureusement parfois très difficilement conciliables. Ce sont ces différences qui ont poussé la France, dont la loi sur la laïcité interdisait déjà depuis 1905 tout signe religieux ostensible dans les entreprises et institutions relevant de l’État, à étendre l’interdiction aux établissements scolaires publics en 2004. Ce sont ces différences irréconciliables qui l’ont fait devenir en 2011 le premier pays du monde occidental (suivi immédiatement par la Belgique) à voter l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public. Il faut dire que l’Hexagone continue d’accueillir et d’accommoder la plus importante population musulmane en Europe occidentale, soit environ 10 % de la population française.

Au Québec, ce n’est pas autour des vitres teintées du YMCA ou de deux ou trois petits joueurs de soccer en turban que s’est cristallisé le débat, mais bien aussi autour du voile, cet Islam « visible ». Et ce ne sont pas les pentecôtistes, les anglicans, les protestants, les bouddhistes, les Tom Cruise, les église-de-jésus-christ-des-saints-des-derniers-jours-istes ou les témoins de Jéhovah (bon, quelques fois le dimanche matin) qui nous ont dérangés jusqu’ici. Pas même les musulmans en fait. C’est le voile qui dérange, ce morceau de tissu qui est tout sauf un morceau de tissu, et qui accentue le malaise à mesure que s’efface la femme qui est dessous. C’est le voile islamique qui, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Angleterre, pour ne nommer que les plus touchés, est toujours et encore l’élément déclencheur de tensions culturelles telles que là aussi les gouvernements ou les tribunaux ont à ouvrir dans la douleur des constitutions et des lois que l’on pensait intouchables. Pourquoi le voile ? Parce que la femme, parce que la personne qu’il masque… Mais ça, les « Janette » vous ont déjà donné une partie de la réponse, à leur manière.

Que le débat soit déjà ouvert chez nous alors qu’il ne découle encore, il est vrai, que d’« une poignée d’événements anecdotiques ayant marqué l’imaginaire », comme le disent les auteurs du Manifeste pour un Québec inclusif, ne fait donc pas de nous des gens racistes, xénophobes et islamophobes comme nous le crache à la figure le ROC qui, lui, a toujours été certain de sa « suprématie ». C’est juste que les Québécois sont historiquement plus chatouilleux que les autres dans la région de l’identité, chatouillement qui a fait circuler le sang de leur survie jusqu’ici. Ce qui ne les empêche pas de rester gentils et de bonne foi. La bonne foi, une vertu essentiellement laïque.

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