Champ libre

Le conte du pas planté

Par Anaïs Fournier le 2013/09
Champ libre

Le conte du pas planté

Par Anaïs Fournier le 2013/09

Parce que parfois l’automne, il est des jours qui nous frissonnent.

Parce que souvent lorsque tombent les jaunes et les gris, on a envie d’être dans la rêverie.

Pour Loup, qui me fait voir le dessous des dessus.

La porte glisssssse de long en large pour lui faire place. Gling gling de ses douces clochettes. Elle l’accueille et l’avertit de son arrivée. Claque claque claque font ses pointures ; ses souliers très allongés. Et vrouuup la chaise lui permet de s’installer. Le journal ? Un magazine ? Ah non ! Un air de piano court et circule dans la pièce. Le morceau est doux et enveloppe jusqu’à la semelle. Une musicienne est de service ce jour-là comme placeuse d’ambiance. Même les plantes semblent suivre le tempo en balançant leur feuillage.

Parce que tout commence dans un café, c’est là qu’il est allé.

Car nous voici au Café des Buses.

Endroit qui, si je ne m’abuse, est le plus joli s’il en est un.

Pied-de-nez de son nom.

Pied-de-nez de tout son long. Car il est ainsi. Grande échalote, paysagiste de son métier. Il vient voir son cher en chair ami et propriétaire du café, j’ai nommé : Alphônzo. Derrière son comptoir, avec l’œil vif, il essuie et fait reluire ses verres colorés. « La beauté du monde se contient dans le rire. » Telle est la devise inscrite sur le mur derrière le comptoir.

— Alphônzo, mon ami, j’ai un stratagème, qu’il lui annonce illllico.

Celui-ci soulève les sourcils en curiosité, voulant trouver quoi lui servir.

— Toupe-toupe-toupe. J’ai promené ce qui suit. Car tu sais que mon flair me dicte la randonnée. Je sens qu’il est temps, dit-il en reniflant, de mettre au jour ce que je nomme : opération grands pétales. Moi, Pied-de-Nez, l’amoureux des fleurs, je vais changer le monde ! ! !

— Ah ah ah ! Mon ami ! Décidément, je te sers un cappuccino !

Aussitôt l’artiste change d’avis et prend son accordéon. Les notes se suivent en saccades démasquées. Il faut s’entendre.

— Cet hiver, je vais visiter les pouciers verts de Saint-Élie-de-Caxton, La Martre, Saint-Félicien, Rochebaucourt, Colombier, Saint-Philémon, Saint-Elzéar et Havre-aux-Maisons pour leur proposer ceci : on part des boutures de rosiers sauvages, ou d’églantiers si tu préfères, dans les quatre coins de la province et on les plante plante plante. Pouk pouk pouk. Un baaauuume d’odeur se répandra partout pour apaiser les cœurs et nous rendre joyeux !

L’instrumentiste enchaîne à présent sur son violon, avec ses cordes flottantes.

— On appelle ça la nouvelle ère, murmure Pied-de-Nez, les yeux remplis d’étoiles. Pourquoi te demandes-tu ? souffle-t-il. Afin de se sentir dans le bonheur. Chaque jour. Être heureux constamment. Imagine : des bouffées sucrées, douces, voluptueuses. Des gens qui se sourient dans leur quotidien et qui ont l’entrain de se paratonner. Et comme poursuite : avec les fleurs, viennent les abeilles, les bourdons. Les insectes attirent les oiseaux qui font venir de plus gros animaux qui aident à faire pousser des forêts ! ! ! C’est magnifique. Et sloupe le cappuccino !

Le violon acquiesce d’une octave. Alphônzo soulève ses sourcils jusqu’au ciel et le tout est dit.

Le vent souffle. Ainsi, part une des dernières feuilles d’automne, la porte se chatouille gling gling gling !

Alphônzo lui sert un expresso. Pied-de-Nez enfile sa tuque en laine mauve et ils se disent à bientôt.

Pendant le temps blanc, l’homme au grand flair a filé ses lacets pour planter son plan.

Le printemps lui a permis de le germer. Car dès lors, il est dit que le bonheur, ça sent la rose.

Hum.

Dans la série des contes de l’avenir proche, des histoires jaseuses de ce qui s’en vient bientôt !

Anaïs Fournier, Le conte du pas planté
Ce conte a été écrit spécialement pour Le Mouton Noir. Il sera publié dans un livre à paraître cette année.

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