La voiture gravissait peu à peu la montagne. Après avoir quitté l’asphalte, nous avancions maintenant lentement sur une route de terre. Tout en bas, au niveau de la ville, les rares arbres étaient tous en feuilles grâce à la chaleur des dernières semaines. Mais ici, dans les hauteurs, la nature ne semblait pas si pressée et le couvert végétal offrait toujours le tableau d’une magnifique courtepointe faite de mille et une teintes de vert pâle et de jaunes naissants contrastant sous les pics enneigés.
Je regardai le cadran lumineux sur le tableau de bord de l’automobile : 23 heures 30. Et il faisait encore pourtant jour comme à midi. Au fur et à mesure que nous progressions sur ce chemin où nous ne croisions plus que de rares camionnettes, ma guide m’entretenait de mille et un propos en lien avec la faune, la flore ou l’histoire de son pays d’adoption. Originaire du Québec, elle était tombée en amour avec ce territoire du bout du monde et comme plusieurs, semble-t-il, elle s’y était fait une nouvelle vie.
Outre cette période d’ensoleillement inhabituelle pour quelqu’un venant du sud, déjà, depuis mon arrivée, je baignais dans une curieuse atmosphère. Ce pays est encore tout nimbé des exploits d’un passé qui n’est pas si lointain. La ruée vers l’or, les vapeurs à aubes qui remontaient le fleuve Yukon, s’arrêtant à chaque mille pour refaire la provision de bois dont la bouilloire était si friande, les saloons retentissant de l’écho des pianos mécaniques, du frou-frou des robes des danseuses de cancan, lorsque ce n’était pas plus prosaïquement du bang-bang mortel des coups de revolver. On trouve encore ici et là des reliquats de cette époque : vestiges du patrimoine bâti ou artefacts conservés dans les musées et fièrement exhibés sous vitrine.
Malgré cette aura dont on voudrait qu’elle soit toujours dotée, la ville contemporaine semble s’être développée dans une anarchie totale à laquelle n’a vraisemblablement contribué aucun urbaniste. L’asphalte et le béton y règnent en maîtres absolus, dans un environnement qui se présente malheureusement comme un mélange où se côtoient le souvenir des pires westerns qui ont marqué notre jeunesse, un développement digne du mythique boulevard Taschereau et le déploiement sans âme des grandes surfaces. Jack London ne s’y retrouverait plus, lui qui a campé le décor de plusieurs de ses romans dans ce coin de pays, non plus que les prospecteurs en herbe qui s’y approvisionnaient avant de quitter pour Dawson City.
Ne voulant cependant pas froisser celle qui avait eu la gentillesse de m’offrir ce tour guidé en montagne sous le soleil de minuit, je gardais pour moi ces réflexions, m’extasiant plutôt devant ce paysage à couper le souffle au cœur duquel nous évoluions. Nous parvînmes finalement à un lac qui constituait de fait le but de notre randonnée et où la route se terminait. La glace n’était pas encore calée, comme on dit par chez nous, et on y pêche aussi le touladi – la truite grise, tout comme on le fait dans le lac Témiscouata. Mais là s’arrêtent les comparaisons.
La crête des montagnes était tachetée de plaques blanches et Sylvie m’expliqua que jusqu’à ces récentes années, la couche de neige qui les recouvrait était beaucoup plus abondante et que ces sommets en étaient recouverts en permanence. On parlait à ce moment de « neiges éternelles », paradoxe illustrant le fait que l’éternité aurait, semble-t-il, elle aussi une fin. Elle me conta de plus que depuis que la neige y fondait maintenant en été, on avait découvert sur ces cimes d’immenses plaques de matières fécales séchées. Harassés par les maringouins et autres frappes-à-bord aux allures préhistoriques, mais non moins belliqueuses, les caribous se réfugiaient sur ces sommets afin d’échapper à leurs morsures. Mais d’autres prédateurs, ayant davantage des allures humaines, avaient flairé la bonne affaire et s’en donnaient alors à cœur joie. Si bien qu’on a trouvé récemment sous cette couche d’excréments durcis par le temps d’innombrables témoins de ce passé révolu : pointes de flèches et de lances, pierres taillées, etc.
Comme quoi le réchauffement climatique peut avoir du bon. (Heureux, monsieur Harper ?)
Comme quoi on peut parfois trouver des trésors enfouis sous la merde. Ce qui n’est malheureusement pas le cas ni à Toronto (je craque pour toi…), ni à Montréal, ni à Laval, ni au Sénat, ni chez SNC-Lavalin, ni à Mascouche, ni à Boisbriand, ni à…