On les voit se succéder à la commission Charbonneau, jour après jour. Les vrais filous se taisent, jouent les amnésiques, ondulent de la sémantique comme une danseuse nue se contorsionne autour de son poteau. Les adeptes de l’omerta ont beau jeu, ils sont passés maîtres dans l’art de ne rien dire, mi-figue, mi-raisin, mi-ceci, mi-cela, mi-mafioso, Milioto. Nouvelle ritournelle : « Je mets toujours l’argent dans mes chaussettes, lorsque je sors faire les emplettes ; pratiques ces billets bruns cachés, lorsque qu’on se rend chez le boucher. »
D’autres plaident le mimétisme : « tout le monde le fait, fais-le donc ! » Et si tu ne le fais pas, tu seras mal vu par les copains. Qui sait ? Le fruit sain pourrait même en venir à contaminer le panier de pommes pourries. Alors adieu les billets de hockey, les bouteilles de vin et les parties de golf avec ces gentlemen qui sont si affables et si accueillants. C’est vrai que la besogne est plate lorsqu’on doit se contenter de l’ordinaire, du neuf à cinq sans extra, de la bureaucratie sans clinquant et sans paillettes, d’un chèque de paie qui ne se gonfle jamais à l’aune des petites et des grandes magouilles. « Tristounet le métier de fonctionnaire ; si alléchant celui de mercenaire ! Et si du blé tu en as trop, tu n’as qu’à le jouer à la loto ! »
Défilent aussi devant Mme Charbonneau les aveugles de naissance, les abonnés de chez Mira, les cyclopes à l’oeil éteint, les non-voyants resplendissants, les partisans de la cécité permanente, les sourds comme un pot (de vin). Rien vu, rien su, rien entendu. Des rumeurs, des on-dit, des allusions. Des centaines de milliers de dollars qui transitent derrière des portes mi-closes, des contrats pipés, des factures gonflées, des preuves de plus en plus flagrantes dévoilées jour après jour à la télé, dans les journaux, dans les médias sociaux, sur la place publique. Non. Je devais être aux W.-C. ou à la cafétéria, congé de maladie ce jour-là, pas de ma juridiction ni de ma compétence, y a du monde payé pour « tchéquer » ça. Un Boeing 747 leur passe à deux pieds de la tête : « Oh le beau canari ! »
Et il y a les repentants. Les « j’aurais pas dû », les « je m’excuse », les « je ne recommencerai plus, un moment d’égarement, un instant de faiblesse dans le cours d’une carrière sans faille qui s’étale sur des décennies ».
Commission Charbonneau. Déficit zéro. Retour du clan Trudeau. On est pogné dans un étau, toujours à choisir le moindre entre deux maux. Comme si le meilleur ne devait plus jamais se trouver à notre portée. Partisans du pire, éternels pessimistes qui ont tellement vu d’arcs-en-ciel terminer leur parcours en s’écrabouillant dans la fange qu’on préfère ne plus jamais lever les yeux au ciel, de crainte d’être encore une fois si amèrement déçus. Plan Nord ; penser faire du Saint-Laurent une réplique de la mythique Silicone Valley ; voter pour le beau Justin afin de chasser le mauvais Harper, tout en oubliant sa vacuité et l’arrogance de son père et l’autre commission, prénommée Gomery celle-là, laquelle, il y a quelques années à peine, dévoilait les exactions commises par ces mêmes libéraux contre les Québécois ; se pourlécher les babines pré-électorales en pensant que le bon nounours docteur Couillard va pouvoir panser toutes nos plaies et glorieusement réintégrer le Québec au sein de la Constitution canadienne. Coudonc mon cher Philippe, « l’honneur et l’enthousiasme » de Mulroney, le « beau risque » de René Lévesque, ça ne te rappelle rien ? Me semble qu’on a déjà joué dans ce film-là, et qu’il se termine toujours de la même manière. « Been there, done that. » Québécois : éternels floués, inaptes à prendre leur destin en main, la souveraineté nationale étant même devenue une plaie, un truc de « has-been », une tare. Comme disait Félix à propos de l’île d’Orléans : « Faire ça à elle… ». Pauvre Félix, pauvre Miron, pauvre Godin, pauvre Julien, pauvre Bourgault, pauvre Falardeau, et tous les autres avant et après, la liste se poursuivra-t-elle ainsi jusqu’à l’extinction ?
Et pendant ce temps, ceux parmi nos compatriotes qui auraient les moyens de nous sortir de la merde, ceux qui se sont enrichis sur notre dos et dont la fortune, si elle était investie chez nous, permettrait peut-être aux régions de se développer et au monde ordinaire de s’extirper de la misère et d’éviter d’être scalpé à l’os par la bande à Harper, pendant ce temps, ces richissimes salauds à la cupidité dévorante comme un cancer placent leur argent dans des paradis fiscaux, laissant aux nôtres l’enfer d’un quotidien de plus en plus « drabe » et d’un avenir de plus en plus bouché. On l’a déjà dit : le mépris n’aura qu’un temps. Il ne faudrait cependant pas attendre que la troisième période soit terminée avant de réagir. Il n’y a plus de supplémentaire possible quand on est mort.