Notre monde, au cours des deux derniers siècles, a changé de manière profonde avec l’avènement, entre autres, des nouvelles technologies. Toutefois, ce monde technocrate, s’il a su apporter l’aisance à certains, en a confiné bien d’autres à la misère car, pour s’y épanouir, il faut posséder le savoir adéquat, celui que transmettent les institutions scolaires, lesquelles sont de plus en plus soumises aux diktats du modèle libéral. Ainsi, ceux et celles qui ne peuvent accéder à ce savoir seront tenus à l’écart, voire marginalisés.
Quel savoir faut-il transmettre afin de s’assurer du bien-être de l’humain ? Faut-il nécessairement avoir un diplôme universitaire en génie électrique pour apporter la lumière dans les endroits les plus défavorisés de la planète ? Les grandes écoles sont-elles les seules à posséder le savoir nécessaire à notre survie, en tant qu’espèce, et à notre développement durable, auquel il est plus que temps de penser ? Est-il pensable que l’humanité puisse évoluer sans que tous aient accès au savoir ?
Cet accès universel à l’éducation passe, cela semble évident (mais pas pour tous, hélas !), par l’abolition des frais de scolarité, mais aussi par la revalorisation des savoirs populaires et traditionnels que l’on a trop souvent repoussés du revers de la main, en oubliant qu’ils s’étaient forgés au fil des siècles. Pourtant, si l’on désire amener vers l’éducation le plus grand nombre, il est temps d’établir des ponts entre ces savoirs populaires et les savoirs universitaires afin de fonder une approche des solutions qui ne soit pas basée sur l’exclusion, mais sur l’inclusion.
Au Canada, par exemple, la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa a fait un pas dans cette direction en ajoutant à son programme un volet sur la santé autochtone, dans lequel l’enseignement tient compte des pratiques traditionnelles. En fait, il faut savoir que 70 % de la population mondiale ne recourt pas à la médecine allopathique, celle enseignée dans les universités occidentales.
Ailleurs, en Inde par exemple, Bunker Roy1, activiste et éducateur indien, a fondé, en 1986, dans le village de Tilonia, dans le Rajasthan, l’Université des va-nu-pieds (the Barefoot College). L’objectif de départ était de permettre aux habitants de Tilonia de devenir autosuffisants en électricité solaire, en eau, en services éducatifs, en santé, en outils agricoles, etc.
Dans cette université, pas comme les autres, les rôles sont sans cesse interchangeables puisque chacun peut apporter du savoir dans des domaines bien différents : le professeur reconnaît l’expertise de ses étudiants (agriculteurs, mères, etc.) et les étudiants reconnaissent celle de leurs formateurs (agriculteurs, mères, etc.). Cette université n’accorde aucun diplôme, accueille des étudiants souvent analphabètes et contribue concrètement au développement des communautés. En fait, Bunker Roy a découvert, en travaillant avec les populations locales, que ces dernières connaissent bien les réalités de leur coin de pays et qu’elles peuvent indiquer des pistes de solutions pour régler certains problèmes récurrents.
1. Voir le documentaire : Bunker Roy : apprendre d’un mouvement va-nu-pied, www.ted.com.