
La pérennité du secteur forestier repose sur la recherche, le développement de nouvelles technologies et la diversification des produits. Cette vision a inspiré le Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale pour les trois versions de son colloque sur les créneaux novateurs en forêt boréale. Cette année, en mars, deux thèmes d’actualité ont été retenus : les produits forestiers non ligneux (PFNL) et la situation de l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
Les produits forestiers non ligneux
René Simon et Jack Picard, ancien et nouveau chef de la communauté autochtone de Pessamit, ont lancé ce colloque de façon fort éloquente en partageant les fruits de leurs connaissances traditionnelles de la forêt : leur milieu de vie et la base de leur économie de subsistance. À travers plusieurs anecdotes, ils ont notamment témoigné de leurs préoccupations devant l’accélération du rythme de l’exploitation de la forêt. Par ailleurs, ils accueillent favorablement le développement de la filière PFNL sur leur territoire à condition de conserver ces ressources pour les générations futures et que, le cas échéant, les autochtones soient les maîtres d’oeuvre de ce développement.
La chicouté, un bel exemple de produit forestier non ligneux, cette petite ronce qui pousse dans les tourbières de l’hémisphère nord, est de plus en plus populaire en raison de son goût unique et de ses propriétés nutraceutiques. Depuis 1998, Kristine Naess du Centre de recherche Les Buissons s’intéresse à ce petit fruit comme nouvelle culture sur la Côte-Nord. Ses résultats ont notamment porté sur les rendements actuels et potentiels en milieu naturel, sur l’amélioration du microclimat de culture, sur l’utilisation des abeilles domestiques pour la pollinisation de la chicouté et, enfin, sur l’amélioration génétique et la propagation in vitro de la chicouté. La chercheure estime qu’il est possible d’atteindre un rendement de 500 kilogrammes par hectare alors que le rendement moyen en nature est de dix kilogrammes par hectare, hypothèse qui doit toutefois être validée à plus grande échelle sur le terrain.
Géraldine Laurendeau, ethnologue et Paul Vézina, ingénieur forestier, ont réalisé un inventaire des connaissances des Pekuakamiulnuatsh sur les plantes médicinales. Ce projet vise à documenter les savoirs sur 83 espèces végétales de la forêt boréale et à développer des outils de transmission et d’archivage dans la communauté ilnue de Mashteuiatsh. Dans le but de favoriser le développement des communautés autochtones dans le respect de leurs traditions, on tente de protéger les savoirs et les plantes, d’évaluer leur potentiel d’utilisation et de mise en valeur dans une perspective de gestion durable et intégrée des ressources forestières non ligneuses. Ce travail en cours depuis l’été 2010 est chapeauté par l’Association du Parc sacré de Mashteuiatsh et financé principalement par la Forêt modèle du Lac-Saint-Jean.
Dans cette lancée vers des créneaux novateurs en foresterie, il faut savoir qu’une attestation d’études collégiales « Valorisation des produits forestiers non ligneux » sera offerte au printemps 2014 au cégep de Baie-Comeau. La vision de la nation innue concernant le développement des produits forestiers non ligneux devrait être une source d’inspiration pour nous, les occidentaux, dont la vie est essentiellement dictée par les dogmes de l’économie de marché dont les objectifs ne sont pas nécessairement compatibles avec le maintien de la biodiversité et l’intégrité des écosystèmes.
La tordeuse des bourgeons de l’épinette
À la lumière de ses recherches, le Centre de foresterie des Laurentides (CFL) s’attend à ce que les changements climatiques modifient les régimes de perturbations par les insectes en raison des changements dans le synchronisme phénologique qui surviendraient entre l’insecte et ses hôtes, qui sont principalement le sapin et l’épinette. Comprendre l’impact de ces changements sur la réponse de la forêt et la résilience de l’écosystème permettrait de prédire la vulnérabilité de la forêt. Le dispositif expérimental déployé par le CFL depuis 2006, à quelque 50 kilomètres de Baie-Comeau, sert à colliger diverses données relatives à la défoliation (perte des aiguilles), à la phénologie (ou l’étude de l’apparition d’événements périodiques (annuels le plus souvent) dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières du climat) et à d’autres paramètres environnementaux (microclimat, régénération, réduction de croissance, quantité et qualité de litière, etc.). Dans la présente épidémie, l’épinette noire fait aussi partie du garde-manger de la tordeuse. Un constat qui n’est pas anodin, car cela aura inévitablement des impacts sur la disponibilité de cette essence qui, ne l’oublions pas, est toujours très en demande.
Les spécialistes de la Société de protection des forêts contre les insectes et les maladies (SOPFIM) affirment qu’en dépit d’un comportement très différent par rapport à l’épisode épidémique précédent (entre 1967 et 1992, l’insecte s’est attaqué à un quart de la forêt en Amérique du Nord), la tordeuse des bourgeons de l’épinette pourrait causer des impacts très significatifs, en raison des contextes forestier et socioéconomique actuels. De plus, les attentes relatives à l’utilisation du milieu forestier évoluent rapidement, tandis que l’approche de protection traditionnelle ne semble pas s’adapter au rythme des besoins exprimés par les utilisateurs. Ainsi, les critères régissant la protection directe à l’aide de pulvérisations aériennes d’insecticide biologique ont peu changé depuis les 25 dernières années au Québec. Toutefois, la gestion de cet important ravageur des forêts résineuses requiert des stratégies de protection contemporaines, mieux adaptées aux objectifs de mise en valeur des ressources forestières.