À la une des journaux, des histoires sanglantes nous sont souvent relatées avec une telle monstruosité qu’elles nous paraissent complètement irréelles. Corps démembrés, histoires incestueuses, tireurs fous, agresseurs psychopathes… des scènes dignes d’un film de David Lynch. Ces tragédies fascinent, piquent la curiosité et figent l’attention sur le fou à lier.
L’agression à caractère sexuel n’y échappe pas et devient à son tour une distraction banale dans la lecture occasionnelle des publications populaires. Bien que cette attention momentanée brise le puissant tabou de la violence sexuelle, le sensationnalisme journalistique submerge le lecteur à tel point que cette problématique se voit associée à des cas isolés, exceptionnels. Aux yeux de plusieurs, elle devient une tragédie spectaculaire issue du déséquilibre mental d’une seule personne. L’agression devient un fait divers.
Ces histoires sont enrobées de titres accrocheurs mettant à l’avant-scène la violence et l’utilisation d’armes. Pourtant, nonobstant le recours occasionnel à cette violence, un grand nombre d’agresseurs sexuels utiliseront plutôt le chantage, l’intimidation, la manipulation, la menace et les privilèges pour arriver à leurs fins. Ces procédés ont pour objectif de prendre le contrôle d’une autre personne et s’opèrent de manière insidieuse et souvent très subtile.
Dangereuse banalisation du viol
Au Québec, le tiers des femmes ont déjà été assujetties à des attitudes, des paroles ou des gestes à connotation sexuelle contre leur volonté ou malgré leur absence de consentement. L’histoire d’une femme sur trois qui ne fera pas la une.
Il est d’autant plus inquiétant de constater que plusieurs victimes minimisent leur propre agression : « Mais moi, il ne m’a pas contraint physiquement », « C’était juste une fois », « Il m’a seulement touchée ». Selon une enquête de Statistique Canada, lorsqu’on demande aux victimes pourquoi elles n’ont pas signalé l’agression sexuelle à la police, 58 % affirment qu’elles estimaient que l’incident n’était pas suffisamment important.
Au-delà de l’effet banalisant du sensationnalisme médiatique, il importe de voir comment le contexte social contemporain contribue à la banalisation de l’agression sexuelle.
Haro sur le porno
Plusieurs auteurs qualifient la culture actuelle d’hypersexualisée. Le sexe est partout : publicité, industrie musicale, magazines, jeux vidéo, films, Internet. À des fins purement mercantiles (le sexe vend, c’est bien connu), ces industries exploitent l’image de la femme-objet qui, mille fois répétée, finit par nous sembler presque normale.
Cette hypersexualisation s’inscrit dans une époque où la culture pornographique est en expansion constante. Secteur d’activité extrêmement lucratif, l’industrie pornographique cherche aujourd’hui à devenir grand public : galas annuels, foires commerciales, produits dérivés, fabrication d’un star système. Certains réfutent bien évidemment tout lien de causalité entre l’exposition à ces produits et les comportements sexuels déviants, affirmant même que les films pornos constituent un exutoire qui aide à réduire la violence sexuelle. Ce mythe a la vie dure dans les croyances populaires.
Pourtant, des chercheurs s’entendent pour affirmer que la pornographie entraîne une cristallisation des scénarios, un phénomène par lequel le spectateur intériorise des scénarios pornographiques et développe une dépendance à ces derniers pour atteindre l’orgasme. Or, aujourd’hui, le scénario typique d’une scène porno n’a rien de rassurant : domination systématique et utilisation mécanique de la femme, prise de pouvoir par l’homme en faisant usage de violence ou, justement, de menaces, d’intimidation et de chantage.
Certains prétendront que la consommation de pornographie n’a pas d’impact sur leur propre vie sexuelle. Il n’en est pas moins troublant de constater que tandis que la porno devient de plus en plus hard, son public, lui, rajeunit.
À force d’entendre ces messages de sexualité libérée et de performance garantie aux pratiques sans tabou, est-ce possible que des femmes acceptent certaines pratiques contre leur volonté? Quel impact peut avoir cette constante réduction de la femme à un corps sexuel que nous pouvons dominer? Cette hausse de consommation pornographique ne légitime-t-elle pas la violence sexuelle en la banalisant?
L’agression sexuelle ne peut être considérée comme un drame isolé. Il s’agit d’une problématique sociale qui fait souffrir en silence un trop grand nombre de victimes. À l’heure où le Québec a enfin une femme à la tête de l’État, il est grand temps que nous cessions de fermer les yeux et que nous traitions enfin la question de la violence sexuelle en amont, en freinant la multiplication des messages sexistes présents sur la place publique.
Le 21 septembre dernier, le Regroupement québécois des CALACS a réalisé plusieurs actions à travers le Québec pour sensibiliser la population à la banalisation de la violence sexuelle. Les femmes victimes d’agressions sexuelles ont besoin d’être soutenues, crues et comprises. Rappelons-nous que toute personne a le droit de dire « Non ».