Champ libre

LA MÉMOIRE DES QUAIS

Par Anjuna Langevin le 2012/08
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LA MÉMOIRE DES QUAIS

Par Anjuna Langevin le 2012/08

Du 30 mars au 4 mai avait lieu à Carleton, au Centre d’artistes Vaste et Vague, l’exposition La mémoire est une arme de Maryse Goudreau. La démarche de l’artiste prend racine dans la photographie d’archives. Les images qu’elle crée sont le symbole de notre mémoire collective et de notre appartenance à un passé garant de notre devenir. Mais là où le travail de Maryse Goudreau prend réellement forme, c’est dans la réalité des villages, au milieu des pêcheurs et des gens du coin, rassemblés sur un quai.

Les quais ont une âme, surtout en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent. Ils sont les témoins d’une époque où toutes les marchandises parvenaient aux villes et villages par bateau, et où la pêche était l’activité centrale. Dans la longue bataille qui oppose depuis la fin des années 1990 les municipalités au gouvernement fédéral pour tenter de préserver la vitalité des quais régionaux (transfert des quais fédéraux, pressions pour la réfection des quais, etc.), les arguments sont surtout, de part et d’autre, d’ordre économique. Maryse Goudreau nous rappelle une autre logique : l’appartenance au territoire, à un bord de mer, à un bout de quai. Ses interventions nous parlent de l’importance de ces lieux mémoriels qui servent encore de point de rassemblement, comme les perrons d’églises jadis, mais dont les portes sont désormais closes.

Sur les quais, la manœuvre Manifestation pour la mémoire des quais se déroule en plusieurs temps : une image d’archive agrandie est collée au sol, elle représente le trafic maritime. Les roues d’un camion écrase l’image, foulée cent fois pour créer un paysage d’asphalte. Plusieurs centaines de personnes sont réunies sur le quai. Elles portent des drapeaux où flotte le portrait d’une aïeule, symbole de la mémoire collective.

Sur un autre quai, l’artiste, du haut d’un escabeau, prend une photo avec un appareil datant des années 1870. Une photo archaïque du monde d’aujourd’hui. Elle la développe sur place, en travaillant avec une technique ancienne : le collodion humide. Il en résulte des images fascinantes, où le passé et le présent s’entremêlent. Devant cette foule aux vêtements modernes qui paraît sortie tout droit d’un document d’archive, on ne peut que s’interroger sur notre futur. Mais la photo de groupe crée surtout un rassemblement. Elle devient le prétexte à des rencontres fortuites, où les vieux racontent des histoires aux plus jeunes. La mémoire passée et présente prend alors une forme tangible et redonne espoir dans l’avenir.

Le travail de Maryse Goudreau, dont les manœuvres s’apparentent à des manifestations, sera affecté par la loi 78. Lors de notre rencontre à Carleton, elle commentait : « Je crois que les rassemblements et les associations sont des incubateurs de l’épanouissement social et ils font peur aux esprits totalitaires. […] Les droits et libertés sont inséparables du bien-être général. »

Maryse Goudreau poursuit présentement un inventaire des quais dans les Maritimes. Elle termine également une résidence au centre d’artistes La Tortue bleue et aux Archives de la Côte-du-Sud, en collaboration avec la MRC de Kamouraska. Une monographie d’une centaine de pages paraîtra enfin à la fin du mois d’août (Sagamie Édition d’art) avec des textes de Michel Campeau, Adrienne Luce, Guy Sioui Durand et Pablo Rodriguez. Chacun à leur manière, ils aborderont le travail de Maryse Goudreau, dont l’art consiste d’abord à restituer la mémoire des quais.

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