Champ libre

ARVIDA

Par Stéphanie Pelletier le 2012/08
Champ libre

ARVIDA

Par Stéphanie Pelletier le 2012/08

Le sous-titre d’Arvida : histoires, le premier livre de Samuel Archibald qui vient de remporter le prestigieux Prix des libraires, en dit long sur le contenu de l’œuvre. Car malgré sa proximité avec le genre de la nouvelle, l’écriture d’Archibald est trop libre et authentique pour se faire coller une étiquette. La quasi-impossibilité d’en résumer le contenu montre tout de suite l’infinie complexité et la subtile richesse d’un livre d’où le lecteur ne peut sortir indemne.

Le narrateur nous y raconte de nombreuses histoires, tantôt drôles et touchantes, tantôt étranges et horrifiantes, qui se passent à peu près toutes à Arvida, ville du Saguenay construite autour d’une mine d’aluminium. Mais ce dont parle avant tout ce livre, c’est des êtres humains qui habitent ce territoire. Car, comme l’affirme Archibald, « je n’ai pas le droit de demander aux gens de s’intéresser à ce que j’écris ou d’écouter ce que j’ai à leur dire si je ne les écoute pas moi-même1 ». Et on le sent à la lecture, ce besoin profond, ce grand désir de rendre les gens et les choses dans leur vérité. L’effort d’authenticité est si puissant que l’on ressort du livre avec un intense sentiment d’étrangeté, comme si ces histoires qui viennent de nous être racontées, bien que nouvelles, nous les connaissions déjà, comme si elles étaient écrites quelque part dans notre inconscient collectif.

Dans Arvida, les histoires de derniers-nés aux quotients intellectuels déficients et de petits voyous aux plans foireux côtoient les récits de femmes aux automutilations atroces et les légendes de grands fauves disparus. Si l’auteur ne dissimule pas les détails scabreux, il nous offre aussi de magnifiques images, saturées d’une poésie sauvage et troublante : « Ces gens-là étaient rusés et idiots, tendres et cruels, obèses mais forts comme des chevaux. Il fallait les voir s’agiter avec une grâce de matador, dangereusement près des grands brasiers, pour sauver du gel de fragiles baies violettes, pas plus grosses que des petits pois. Il aurait pu aller vers eux, Jim, au lieu d’aller se tuer. Ces gens-là sont capables de briser un cou de poulet à mains nues, mais ils ne laissent jamais mourir les choses délicates que le Seigneur leur confie. » Dans Arvida, on déterre des camps de chasse ensevelis par la neige, on tue le petit gibier à mains nues, on se saoule, on pisse dehors et on aime. On aime tout croche, mais on aime.

Ce qui fait toute la qualité d’Arvida, c’est l’humilité d’un auteur qui s’efface devant la grandeur du mystère humain, qui jamais ne juge ou ne méprise les personnages qu’il met en scène, aussi idiots ou violents soient-ils, parce qu’il réussit à trouver en chacun d’eux la lueur singulière qui fait toute la beauté de l’âme humaine. Archibald réussit à évoquer le mystère devant lequel, trop souvent, les mots restent impuissants : « Rien ne m’a rendu écrire plus difficile que cette impossibilité fondamentale. Comme ces anti-madeleines de mon père dans lesquelles s’engouffre toute mémoire, les histoires que j’aime sont inracontables ou perdent à être racontées ou s’autodétruisent dans l’exercice même de leur formulation. » Et pourtant, c’est dans cette bouleversante impossibilité de raconter que réside la puissance des récits d’Archibald, car plutôt que de lutter contre elle, il se plie à cette force étrange des histoires qui ne se racontent pas. Par l’accumulation des évocations, il arrive à construire des récits plus efficaces encore qu’une histoire parfaitement structurée.

Il faut lire Arvida absolument. C’est un incontournable dans la littérature québécoise actuelle ; un livre qui change quelque chose en nous, qui stimule l’intelligence et remue les tripes, qui ne manquera pas de vous tatouer l’âme.

Samuel Archibald, Arvida : histoires, collection « Polygraphe », Le Quartanier, 2011, 324 p.

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1. Samuel Archibald, « Le néoterroir et moi », Liberté, vol. 53, no 3, avril 201.

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