Politique

Judiciarisation du mouvement étudiant : de quel droit ?

Par La rédaction le 2012/05
Politique

Judiciarisation du mouvement étudiant : de quel droit ?

Par La rédaction le 2012/05

Nous assistons, en ce moment, à une judiciarisation inquiétante du débat politique concernant le mouvement étudiant. Ce processus sans précédent, en exploitant un flou juridique, institue un danger potentiel dans l’organisation de la démocratie directe universitaire. Les jugements dont il est ici question remettent en cause la légitimité des décisions prises par la communauté et déresponsabilisent les individus en les détournant de la sphère publique, et ce, dans une logique clientéliste de poursuite de l’intérêt privé.

Bien qu’imparfait, le système associatif tente au mieux des possibilités procédurales de représenter légitimement ses membres. Les associations étudiantes, reconnues par la loi depuis 1983, sont les seules instances où des décisions peuvent être prises par voie de démocratie directe. Leur retirer la légitimité de mettre en œuvre les actions qui résultent des positions affirmées par la majorité des membres produit nécessairement un glissement hors du cadre législatif et institutionnel historiquement reconnu.

Les associations étudiantes créent des espaces d’expression collective essentiels. Elles permettent aux étudiants de se familiariser avec les enjeux politiques et sociaux, ainsi qu’avec des valeurs démocratiques légitimant le cadre législatif et décisionnel auquel nous sommes attachés. Sans ces dernières, les étudiants perdent prises sur leur environnement et sont réduits au rôle de consommateurs des services que veulent bien leur fournir les institutions scolaires. Désirons-nous réellement un milieu où chaque étudiant n’a plus d’autre moyen d’expression que le recours à un processus de traitement des plaintes individualisées ? Dans cette situation, où les préoccupations étudiantes seraient sans doute négligées, le changement émanant des aspirations étudiantes serait difficile : seul un statu quo malsain pourrait perdurer.

Se restreindre à dire que le droit de grève « est un droit statuaire prévu au Code du travail qui ne peut être exercé que dans le contexte d’une relation employeur/employé » (jugement prononcé le 3 avril dans l’affaire Laurent Proulx contre l’Université Laval) réduit l’importance sociohistorique de ce droit. La décision de déclencher une grève, soit pour des raisons politiques, sociales ou scolaires, prise par des instances étudiantes démocratiques, serait dès lors illégitime et deviendrait caduque. N’oublions pas que les grèves des travailleurs et travailleuses étaient d’abord illégales et elles le sont restées jusqu’à ce que ce droit collectif leur soit reconnu dans le Code du travail. C’est dans cet esprit que les étudiants s’octroient ce droit et n’attendent pas passivement qu’on le leur donne.

Certains affirment qu’il ne faut pas qu’une décision collective nuise à un droit individuel, par exemple au prétendu droit d’avoir accès à ses salles de cours. Alors qu’est-ce qu’une grève ? Est-ce un quelconque moyen de pression strictement symbolique ? Si oui, quel impact a-t-elle réellement sur les plans social, politique et économique ? Si les étudiants prennent la décision de faire la grève en instance démocratique et que leur décision ne peut pas prendre forme dans la réalité, nous nous demandons à quoi servent ces instances que nous persistons à considérer souveraines. Comme dans toutes les instances démocratiques que nous valorisons, nous croyons que la minorité doit se rallier à la majorité suite à une délibération collective. C’est ce principe primaire qui doit être réaffirmé dans le débat qui oppose le respect des droits individuels au respect du droit collectif.

Nous pensons donc qu’empêcher la grève par voie juridique, ne serait-ce que par des injonctions temporaires, risque de faire dégénérer la situation davantage. Comme la résistance est un devoir civique lorsque le pouvoir en place est injuste, la grève peut servir de garde-fou pour éviter les débordements violents. C’est l’acharnement du gouvernement libéral à ignorer aussi longtemps les revendications étudiantes qui a créé la situation propice à la judiciarisation des débats politiques qui menace maintenant notre démocratie.

Hind Fazzazi, Jean-François Perrier, Kate Blais, Mahdi Benmoussa, Sophie Savard-Laroche et Jean-Nicolas Denis

Étudiants et étudiantes en philosophie de l’Université Laval

5 avril 2012, Québec

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