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Harper, un an plus tard

Par Solenne Cadieux le 2012/05
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Harper, un an plus tard

Par Solenne Cadieux le 2012/05

Il y a un an, je vous ai présenté un compte-rendu de Contre Harper (2010)1, un essai de Christian Nadeau faisant état des dangers que représente le gouvernement conservateur de Stephen Harper pour la démocratie canadienne. Un an et un budget plus tard, je me suis demandé ce qu’il en était.

Selon le philosophe Christian Nadeau, les mesures prises par le gouvernement conservateur sont dangereuses parce qu’elles minent la démocratie et la justice canadiennes, mais surtout parce qu’elles se veulent profondes et durables, même au-delà de son règne. Si les conservateurs atteignent leur objectif, les transformations qu’ils auront imposées seront ancrées dans une nouvelle identité canadienne axée sur les valeurs conservatrices. Lentement mais surement, ils souhaitent voir tous les Canadiens adopter et vivre selon ces valeurs.

D’après Nadeau, les conservateurs sont des libertariens, c’est-à-dire qu’ils prônent un désengagement de l’État dans tout ce qui peut nuire à la liberté individuelle et économique, sauf, dans le cas présent particulièrement, en ce qui a trait aux mœurs. Ainsi, il est normal que le gouvernement Harper ait instauré autant de mesures favorisant le développement économique des entreprises visant l’exploitation des ressources naturelles. L’argent est là, peu importe les conséquences à moyen ou à long terme. Les mesures environnementales, dont Kyoto, nuisent au développement de ces entreprises ? Sabrons dans ces mesures inutiles et nuisibles pour le développement économique de notre beau pays plein de ressources et de richesses. Dans le cas des évaluations environnementales, si elles sont nuisibles, selon le ministre Flaherty, c’est que leur processus est trop long, qu’il complexifie et retarde la mise en œuvre de grands projets de développement des ressources. Certains auraient pu penser à proposer des façons d’améliorer la méthode et d’accélérer le processus (voire de se questionner sur la valeur de ces grands projets qui ne répondent visiblement pas aux nouvelles normes environnementales), les conservateurs préfèrent les éliminer. Pourquoi ? Pour remodeler l’État canadien selon leurs valeurs. Il sera désormais plus difficile, même pour un gouvernement libéral ou néo-démocrate qui serait porté au pouvoir, de remettre sur pieds de telles mesures environnementales puisque les bases auront disparu.

Christian Nadeau arrive à la conclusion que les conservateurs, qui ont réussi à imposer leur vision de l’économie, s’attaquent désormais à la dernière arme des gens de gauche : leur vision d’une société juste. Cette « société juste » de gauche est formée d’une pluralité de visions de ce qu’est une société bien, et ce, dans le respect des diverses façons d’appréhender la vie, du moment que celles-ci respectent la loi. Or, les conservateurs de Stephen Harper considèrent la pluralité des opinions et la transparence comme des obstacles au bon déroulement des activités gouvernementales : « Ils préfèrent l’efficacité à l’équité, et ils sont seuls à déterminer en quoi leurs actions donnent des résultats, et si ces résultats sont une bonne chose ou non2. » Ils s’attaquent donc à cette vision en imposant à tous leurs valeurs conservatrices. Ils y sont arrivés, avant le dépôt du budget fédéral 2012, en éliminant le registre des armes à feu, et ce, malgré un tollé de contestations. Ils y arrivent encore, dans ce premier budget en tant que gouvernement majoritaire, en réduisant les pouvoirs du ministère de l’Environnement, en sabrant dans les ministères en général (entre autres, en coupant 20 000 emplois dans la fonction publique), en modifiant les règles de l’immigration (au point où ils fermeront 280 000 dossiers d’immigrants sur une liste d’attente depuis 2008 afin de privilégier l’arrivée de gens aptes au travail, brillants et utiles pour le pays), en retardant l’âge de la retraite, en orientant la recherche vers les besoins des entreprises (au détriment de la recherche fondamentale, qui, en plus de son utilité intrinsèque, nourrit aussi la recherche appliquée), en ouvrant la porte toute grande au développement de l’industrie pétrolière, etc.

En 1988, le gouvernement Mulroney mettait sur pied l’organisme Droits et Démocratie dont la mission vise à promouvoir les droits humains ainsi qu’à soutenir la démocratie partout dans le monde. Depuis 35 ans, le programme Katimavik encourage la responsabilité civique des jeunes Canadiens. Le gouvernement Harper vient de couper les vivres à ces deux organisations altruistes. Les conservateurs se servent de leur budget pour jouer dans les valeurs canadiennes. Si l’environnement, la démocratie et la culture souffrent particulièrement pendant que l’industrie se réjouit, si plusieurs citoyens âgés de 54 ans et moins voient leur retraite retardée de deux ans, si des milliers de fonctionnaires attendent de savoir où tombera le couperet dans leur ministère, si les chercheurs voient leurs ambitions de recherche fondamentale dévalorisées, si la SRC se fait encore couper son budget, aucune mesure ou loi n’a été discutée à la Chambre des communes avant l’adoption de ces réorientations pour le moins importantes. Un an et un budget plus tard, il semblerait que Christian Nadeau ait vu juste. La démocratie canadienne est en péril et la démocratie mondiale a perdu un allier important. Mais réjouissons-nous, avec toutes ces économies, Harper n’est-il pas en train d’amasser un petit bout de sa mise de fonds pour l’achat de ses chers F-35 ?

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1. Voir de la même auteure « Contre Harper : dans l’intérêt de la démocratie », Journal Le Mouton NOIR, Vol. XVI, no 5, mai-juin 2011.

2. Christian Nadeau, Contre Harper, Boréal, 2010, 168 p.

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