« Comment être ou devenir, au plan individuel, un acteur lucide de notre parcours de vie, et sur le plan collectif, se comporter en citoyen responsable et engagé en notre existence, au sein de la cité et même à plus vaste échelle? »
Ha Vinh Tho (2006)
Jeudi 16 février à 19h30, Marie Beauchesne inaugurait au Musée régional de Rimouski le cycle de conférences Musée-UQAR sur le thème « Pouvoir devenir sujet au cœur de ses actions et de ses relations ». Finissante à la maîtrise en études des pratiques psychosociales, la conférencière travaille au Centre de santé et de services sociaux de La Mitis, où elle met en oeuvre des projets d’accompagnement du changement dans le domaine de la communication, du changement organisationnel et de l’humanisation des soins. La question qui introduisait sa conférence était la suivante : « Est-il possible de devenir sujet de sa vie ou sommes-nous seulement victimes des conditionnements qui nous ont créés, de notre contexte social, de notre éducation, de la famille dans laquelle nous sommes nés ? Pouvons-nous vraiment transformer notre destin ou sommes-nous l’objet du sort ? »
La maîtrise en études des pratiques psychosociales telle qu’elle est proposée par l’UQAR repose sur le postulat que si l’étudiant-chercheur trouve les questions singulières que lui pose sa vie et qu’il parvient à s’y adresser, il crée de la connaissance qui touche à l’universel et qui peut être partagée. Marie Beauchesne aborde ainsi le thème de l’éclatement familial, qui se trouve au cœur de son histoire. Il s’agit d’une donnée sociologique en constante augmentation au Québec et ailleurs, qui génère de nombreuses épreuves pour l’enfant, tels que le stress, les conflits de loyauté et la parentification. Comment faire pour apprendre à se relier et à aimer, alors que toute son identité s’est construite autour du sentiment de déchirement et d’exclusion ?
Au terme de ses cinq années de recherche, la conférencière nous offre les zones d’ombre de son histoire qu’elle a eu le courage de revisiter. Cette traversée n’enlève rien aux blessures qu’elle a vécues lorsqu’elle était enfant mais occasionne un changement de posture radical, comme si elle dépoussiérait son vécu des jugements, des accusations et des revendications qu’elle portait. « Exercer son pouvoir devenir sujet, c’est renoncer à revendiquer dehors une réparation que l’on doit d’abord faire dedans. » Elle nous partage aussi les voies de passage qu’elle a dû inventer pour se relier, au-delà de ses contraintes biographiques d’éclatement familial et de complexité relationnelle. Des moments précieux, intenses, fondateurs, où elle a agi différemment et où tout en a été changé. Lorsque l’on prend sa part de responsabilité dans une situation qui nous opprime, la répétition du même peut alors céder la place à la création de nouveaux commencements. Sa vie en témoigne.
La trajectoire de Marie Beauchesne agit comme un enseignement. Nous voyons qu’il est possible de gagner en liberté en plongeant au cœur de son histoire et en osant regarder le terreau duquel on est issu. Non pour se déresponsabiliser ou se victimiser mais, bien au contraire, pour pouvoir choisir si oui ou non, ce terreau nous convient. Nous voyons aussi comment sa recherche qui s’inscrit dans une quête de pouvoir être plus libre a des impacts non seulement sur ses liens, sur sa famille mais aussi sur l’organisation dans laquelle elle travaille, sur le monde dans lequel elle vit. Et que bien souvent, les enjeux prétendument organisationnels ne sont rien d’autre que des blessures relationnelles. « Si on ne prend pas la responsabilité de réparer nos blessures, on prend le risque de faire subir à autrui exactement ce dont on a souffert. Devenir sujet de son histoire, aller à la rencontre de son histoire, ce n’est pas juste un impératif d’émancipation personnelle, ça devient presque un devoir de bienséance en société, un devoir de civilité. »
La parole singulière de Marie Beauchesne, qui s’inscrit dans le courant plus vaste des histoires de vie, de la psychosociologie et de la somato-psychopédagogie, permet de sortir du clivage habituel entre un militantisme pur et dur qui refuserait toute forme d’interrogation sur soi et un travail de transformation personnelle qui resterait uniquement préoccupé de soi et de son nombril sans souci des autres. Elle permet de poser son regard sur les liens qui sont à l’œuvre entre l’intériorité et l’extériorité et de les mettre en dialogue l’une avec l’autre. Le travail de responsabilisation et d’engagement citoyen peut se faire ainsi à l’aune de soi, des autres, de la cité et du monde dans lequel nous vivons. C’est une parole salvatrice qui permet de sortir de la dualité et d’embrasser la réalité dans sa complexité.