Nos blogues

Patiner sur la bottine

Par Frédéric Deschenaux le 2012/03
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Patiner sur la bottine

Par Frédéric Deschenaux le 2012/03

Ajoutant son grain de sel à la controverse entourant l’unilinguisme de l’entraîneur des Canadiens, l’inénarrable Jean Perron a rappelé la nécessité de ne jamais « mélanger sport, politique, sexe, race et religion ». Comme si elle tenait à contredire l’ancien pilote des Glorieux, l’actualité nous apporte la démonstration du contraire, au moins en ce qui concerne les deux premiers termes de l’énumération. Alors que le gouvernement rendait publique – un dimanche – sa politique sur l’intimidation en milieu scolaire, et alors que toute la planète hockey se perd en conjectures devant la montée vertigineuse du nombre d’éclopés du haut du corps, le temps est venu de se questionner sur la place que tient l’intimidation dans nos sociétés. Gabriel Tarde, un des pionniers de la sociologie, voyait dans l’imitation et l’invention, avec à leur fondement le désir et la croyance, les moteurs du changement social. Il avait oublié cependant l’intimidation. Car l’humain, disait Hegel, ne se contente pas d’avoir des désirs ; son désir de reconnaissance (thymos) le pousse à désirer le désir des autres.

Certains individus voient malheureusement leur désir être désiré plus souvent qu’à leur tour. Ceux-là, on leur brûle les ailes à force de taxage, de bullying, d’insultes, de menaces sur Internet, etc. Dans Traveling Music, un musicien fameux soulignait l’embarras, sinon la honte, pour un jeune canadien de patiner sur la bottine, la gêne de ne pas savoir « aller de reculons1 ». Sur la patinoire, dans la cour d’école, à l’Assemblée nationale : partout, on observe la même volonté de contrôler, de déstabiliser, d’instiller la peur dans les yeux de l’autre. On joue impunément dans notre mental, sur la crainte qu’a chacun de nous d’être rejeté, d’être planté dans la bande, de faire rire de soi.

Au hockey, il s’en trouve plusieurs ces jours-ci pour remettre en cause la pertinence des bagarres. La mort récente de quelques cogneurs, terrassés par la dépression, n’est certes pas étrangère à ce changement de mentalité. Nous savons maintenant qu’on peut être (un) dur à cuire sur la glace et se consumer sous le soleil de l’entre-saisons. De quoi réduire en cendres la légitimité du goon. Prétendument là pour prévenir les coups vicieux, le véritable rôle de ce dernier, nous le savons tous, est d’épouvanter l’adversaire pour l’empêcher de performer.

Il y a toutefois matière à réjouissance. Si l’on se fie au commissaire de la LNH, Gary Bettman, les pugilats seraient en passe de disparaître au hockey. « Cette année, déclarait-il avec fierté, les bagarres sont en baisse de 25 % par rapport à l’an dernier, et les trois dernières années sont les plus basses en termes de bagarres parmi les 25 dernières années. » Si l’on comprend bien, les rixes pourraient ne plus exister au hockey avant longtemps. Quel paradoxe ce serait ! Le hockey montrerait la voie aux politiciens, eux pourtant si prompts à dénoncer la violence dans le sport et à l’école, mais qui trop souvent oublient à quel point l’intimidation fait partie intégrante de la chose politique. Que dire en effet de ce ministre qui traite une adversaire de « grosse crisse » en chambre. N’est-ce pas de l’intimidation à l’État pur ? Champions olympiques en la discipline, les conservateurs fédéraux, eux, effarouchent leurs adversaires en s’attaquant bravement aux détenus. Remarquez, après avoir voulu serrer la vis aux criminels et aux jeunes contrevenants, il semble qu’un sénateur conservateur veuille maintenant leur donner de la corde…

N’est-ce pas le Québec en entier qui patine actuellement sur la bottine, qui a la cheville ouvrière faible ? À force de se faire répéter à quel point nous sommes médiocres, on finit par le croire. Comme ces poqués du système scolaire dépeints par Antoine Baby. En les écoutant narrer la cause de leur misère scolaire, on jurerait entendre les répliques d’une pièce de théâtre, un texte appris par cœur à force de répétition. Si notre fatigue culturelle nous rattrape, c’est peut-être parce que nous avons cessé de « bouger les pieds », pour citer le poète Benoît Brunet. Resterons-nous là, étendus sur la glace, tout recouverts de neige, à pleurer en espérant que papa ou maman nous ramène à la maison « juste à temps pour Passe-Partout2 » ?

Il nous arrive tous à un moment ou à un autre de patiner sur la bottine, de paniquer parce que l’on ne sait pas « aller de reculons ». Et même pour ceux et celles qui sont « vites sur leurs patins », il y a toujours une craque dans la glace pour les faire trébucher. Quel déshonneur y a-t-il pourtant à se faire des bleus sur les fesses, à avancer sur ses patins en s’appuyant sur son bâton ? En politique, dans le sport comme à l’école, la seule chose qui importe, c’est de se relever, de se réjouir de ne savoir aller que de l’avant, de poursuivre son chemin en faisant fi de ceux qui essaient de se grandir en nous diminuant. Et puis, ça n’existe pas pour rien le hockey bottine.

1. Neil Peart, Traveling Music. The Soundtrack of my Life and Times, Toronto, ECW Press, 2004.

2. Les cowboys fringants, « Les étoiles filantes », album La Grand messe, paroles et musique Jean-François Pauzé, 2004.

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