Champ libre

Les cahiers Victor-Lévy Beaulieu

Par Michel Lagacé le 2012/01
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Les cahiers Victor-Lévy Beaulieu

Par Michel Lagacé le 2012/01

Au début du mois de novembre 2011, l’auteur Victor-Lévy Beaulieu s’est vu décerner, pour l’ensemble de son œuvre, le prix Gilles-Corbeil, soit la plus grande distinction littéraire du Québec remise par la Fondation Émile-Nelligan. Une distinction bien méritée qui fait suite à quelques autres, dont le Prix du Gouverneur général en 1974, pour une œuvre vertigineuse « emprunte de verdeur et d’abondance  »  : romans, essais, théâtre, poésie, téléromans, pamphlets, lettres d’opinion et interventions diverses qui couvrent un demi-siècle de l’histoire littéraire québécoise.

L’occasion est donc idéale de souligner la parution récente du tome 1 des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, Actualités de Victor-Lévy Beaulieu, aux éditions Nota bene. C’est le premier cahier d’une suite qui sera publiée sous l’égide de la Société d’études beaulieusiennes créée en 2009 par des chercheurs des universités d’Ottawa, de Queen’s, du Québec à Montréal et de Montréal sous la direction de Sophie Dubois et Michel Nareau. Ces cahiers ont l’objectif de réunir des textes de différents collaborateurs, étudiant certains aspects de la démarche de l’écrivain. Le premier cahier contient sept articles sur la production de l’écrivain et, en introduction, ces auteurs qualifient, à juste titre, l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu « de protéiforme, de démesurée, de complexe ou d’engagée  ».

Rappelons d’ailleurs que l’écrivain, qui vit à Trois-Pistoles, a publié ces dernières années quatre grands romans  : « un essai hilare  », James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots (2006)  ; cet autre « livre fantasme et impossible  », La grande tribu. C’est la faute à Papineau (2008) ou est-ce plutôt la faute de La charge de l’orignal épormyable du poète automatiste Claude Gauvreau comme le souligne l’article de Sophie Dubois dans ce cahier  ? Et bien sûr Bibi (2009), publié à l’international aux Éditions Grasset en 2010, et Antiterre (2011), le dernier livre de « la vraie saga des Beauchemin  ».

Les derniers commentaires de l’écrivain, à la suite de la réception du prix Gilles-Corbeil, laissent envisager qu’il amorcera – promesse d’un livre à écrire – un ouvrage sur Nietzsche, ce philosophe allemand dont les idées sont déjà bien introduites dans l’œuvre de Beaulieu et tout particulièrement dans le livre La grande tribu. C’est la faute à Papineau, comme le souligne dans un autre des articles de ce cahier Stéphane Inkel. « Il y a quelque chose de profondément nietzschéen dans cette œuvre, comme si la geste épique des Beauchemin ne pouvait faire son apparition qu’à travers le pire, au même titre que la “transvaluation de toutes les valeurs” appelée de ses vœux par le philosophe-artiste ne se laisse entrevoir qu’au terme de la “dépréciation des valeurs supérieures” propres au “nihilisme européen” qui lui est contemporain.  »

Laissons parler Abel, l’un des personnages de son œuvre, afin de mieux comprendre l’envergure de la tâche que Victor-Lévy Beaulieu semble s’être fixée  : « Pour écrire un Finnegans Wake québécois, il faudrait donc être tout à la fois Hubert Aquin, Jacques Ferron, Claude Gauvreau, Réjean Ducharme et quelque chose de plus encore […]. Ainsi naît le Livre totalisant, celui auquel Joyce s’est attelé en écrivant Finnegans Wake et celui auquel s’attellera un jour le Dieu-Thoth québécois quand seront enfin réunies les conditions gagnantes, au-delà du beau risque et de l’amnésie globale transitoire dans laquelle nous pataugeons parce que nous avons encore peur de la grandeur 1.  »

Malgré la débandade générale des idéaux sur la nation rêvée, voilà bien exprimé, dans les deux phrases de ce personnage, ce chaos touffu et poilu (barbe et chats) dans lequel cet architecte des mots semble se tenir en équilibre sur son crayon ou bâton de pèlerin tel un Don Quichotte en culotte courte pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

Par sa détermination et la démesure de son écriture, cet écrivain est de « ceux qui marchent contre le vent  ». Il est évidemment l’un de nos grands auteurs nationaux et même internationaux, car une œuvre authentique et singulière comme celle de Victor-Lévy Beaulieu voyage (Les voyageries) toujours du local (du lieu dont on parle) vers le global. Mais c’est surtout une œuvre littéraire importante qu’il faut envisager de côtoyer ou de découvrir si ce n’est pas encore fait. Et ce premier tome des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu qui vient de paraître est justement là pour nous aider à l’aborder autant qu’à souligner l’originalité, la singularité et l’importance de l’œuvre de ce grand écrivain québécois.

Cet article est paru dans La Rumeur du Loup, no 39, décembre 2011 : www.rumeurduloup.com. Il est reproduit avec l’autorisation de l’auteur.

1. Dans Victor-Lévy Beaulieu, James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2006.

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