Champ libre

Coups de coeur

Par Michel Labrie le 2012/01
Champ libre

Coups de coeur

Par Michel Labrie le 2012/01

Voici quelques albums qui ont retenu mon attention ces derniers temps tout en constatant qu’ils représentent bien l’étendue et la variété du registre de la BD actuelle.


Le Grand Meaulnes (2011)

Bernard Capo et Alain-Fournier, Casterman

Alain-Fournier est l’auteur d’un seul roman, Le Grand Meaulnes, que peut-être votre prof de littérature vous obligea à lire. Il s’agit d’un récit romantique inspiré de la vie d’Alain-Fournier quand il était jeune adulte dans le département du Cher, et de son amour éperdu et sans retour pour une belle jeune femme qu’il nommait Yvonne de Galais.

Le Grand Meaulnes incarne le roman d’initiation et porte les thèmes les plus forts du monde adolescent  : quête de l’amour absolu, amitié indestructible, paysages mystérieux et magiques… C’est la toute première fois que ce classique est adapté à la BD.

Par son choix d’illustrer ce chef-d’œuvre dans le plus grand respect de l’œuvre originale parue en 1913, Bernard Capo se cantonne sagement du côté du réalisme et il n’échappe pas à un flux narratif assez imposant.

Pour autant, la sincérité et l’amour de l’œuvre originale guident sans aucun doute cette adaptation de sorte que le lecteur ne peut demeurer insensible à ce drame déconcertant et à ses riches atmosphères. Cette BD est une œuvre magnifique.


Pour en Finir avec le Cinéma (2011)

Blutch, Dargaud

Pourquoi le cinéma  ? Quel effet nous fait-il  ? Pourquoi l’aimons-nous  ? Blutch tente de répondre à ces questions en puisant dans sa prodigieuse culture cinématographique et, surtout, dans sa très grande science de raconteur de bandes dessinées. Ainsi, il évoque Burt Lancaster, Jean Gabin, Luchino Visconti, Claudia Cardinale, Tarzan, Psychose… et donc une foule de références, de scènes tirées des grands classiques fidèlement redessinés ou subtilement détournés en un enchaînement improbable de séquences sans autres liens que le délire… La réponse à ces questions réside dans la nécessité d’une proximité avec ces images et ces personnages. Comme si l’histoire du cinéma de chacun se révélait dans un album de famille où les acteurs et les séquences qu’ils ont immortalisées nous rattachaient à la vie.


Magasin sexuel (t.1) (2011)

Turf, Delcourt

La Nef des fous vient de se conclure et Turf, son auteur, nous propose du nouveau, un diptyque intitulé Magasin sexuel. Un petit village pittoresque, les Bombinettes, qui n’est pas sans faire penser à Champignac, porté sur une boisson locale incontournable le Bombinou, connaît tout un émoi quand une camionnette rose et sa petite vendeuse Amandine s’invitent sur la place du marché avec son étal de canards en plastique et d’objets sexuels hétéroclites. La vie des villageois attachants de ce vaudeville sera perturbée.

Après La Nef des fous, Turf change radicalement d’univers avec ce cadre rural. Mais son style construit autour de la dérision et de l’humour est toujours là. Par exemple, un plaisantin dérobe la lettre « i  » de l’écriteau de quelques échoppes. De sorte que « le Bar du coin  » devient « le Bar du con  » et « La Belle Truite  », « la Belle Truie  ». Pince-sans-rire, Turf déploie des situations cocasses et des dialogues subtils tout en s’appuyant sur un dessin précis qui fourmille de détails. Turf est un artisan de la belle ouvrage. Mais attention, il ne s’agit pas d’une BD érotique, même si le rose enveloppe ce petit monde.


Jeronimus (l’Intégrale) (2011)

Pendanx et Dabitch, Futuropolis

Un apothicaire hollandais ayant perdu son fils décide de s’embarquer sur le Batavia, navire amiral affrété par la puissante Compagnie des Indes hollandaises au XVIIe siècle, la première société vraiment capitaliste. C’est l’histoire vraie du Batavia qui fit naufrage sur des îles perdues au large de l’Australie. La vie sur le bateau n’est pas vraiment facile, surtout que Jeronimus conteste de façon larvée les dogmes de la religion protestante qui font loi sur le navire. De nombreuses intrigues parsèment le périple de sorte que la révolte qui gronde s’en trouve attisée. La mutinerie est proche.

L’édition intégrale de Jeronimus reprend les trois tomes initialement parus entre 2008 et 2010. Dabitch retrace, sur plus de 250 pages, ce drame resté célèbre en Hollande et en Australie. C’est la flamboyance des peintures de Pendanx et une narration crédible qui rend vivante et terrifiante cette histoire. Les scènes maritimes, celles de la tempête particulièrement, sont d’une puissance évocatrice époustouflante. Chaque vignette est réalisée en couleur directe, un réel bénéfice pour l’oeil.


Lady Elza (t. 1), Excentric Club (2011)

Wurm et Dufaux, Glénat

Après Les Rochester chez Casterman, puis chez Dupuis, voici la série Lady Elza chez Glénat.

Dans le dernier tome de la série Rochester paru chez Dupuis, le scénariste Jean Dufaux y va d’une charge en règle contre l’insuccès de la série et sa fin présumée et prématurée. Il n’avait pas dit son dernier mot puisque la série fantaisiste et policière renaît chez Glénat. Excentric Club est le premier titre de cette nouvelle saga.

Lady Elza, une jolie Anglaise aussi sophistiquée que délurée, connaît quelques déboires suite à une aventure sexuelle. Il devient préférable pour elle de se réfugier au château de son cousin, Lord Palfy. Ce dernier lui propose d’intégrer une société ésotérique  : l’Excentric Club. La première épreuve est d’aller rencontrer l’esprit du poète Bob Byron dans le village fantôme d’Ornfield…

Cet endroit disparu dans les brumes n’apparaît que quelques heures pour certains privilégiés. Il semble que Lady Elza en fasse partie.

Cette escapade humoristique, policière et romantique illustrée par la très élégante ligne claire de Philippe Wurm se lit très agréablement.


3 Secondes
(2011)

Marc-Antoine Mathieu, Delcourt

Scénographe et auteur de bandes dessinées, Marc-Antoine Mathieu est avant tout un expérimentateur sur les plans narratif et graphique. Sa série Julius Corentin Acquefacques –anagramme de Kafka (AKFAK) – adulée par la critique n’a cessé d’explorer les potentialités des codes de la BD, jouant sur les paradoxes, les non-sens et les contradictions. Avec ce nouvel album intitulé 3 secondes, il est question d’un récit aux allures de polar où s’effectue un complot se déroulant dans le temps réel de trois secondes. L’action avance au fil des reflets provoqués par les diverses surfaces qui jouent le rôle de miroirs. Ces réflexions font rebondir l’intrigue, renvoyant chaque scène à une nouvelle et, aussi, assez souvent à la même, modifiant son angle et le point de vue du lecteur. C’est alors au lecteur de définir son temps de lecture, de se concentrer afin de résoudre l’intrigue et d’être l’acteur principal au cœur de cette expérience, qualifiée à juste titre par Mathieu de « jeu de lecture  ». Cette BD peut également se lire en interaction sur le site internet de l’album.


Walking Dead (t. 14), Piégés  ! (2011)

Robert Kirkman et Charlie Adlard, Delcourt

Le monde tel que nous le connaissons a disparu définitivement. Telle est la réclame de la série Walking Dead qui comporte déjà plus d’une trentaine de titres dans sa version originale américaine. Le quatorzième tome vient de paraître en français.

Il s’agit sans conteste d’une série phénoménale qui doit son énorme succès au sujet lui-même, celui de l’enfer de la survie à tout prix, et au traitement original qui en est fait, le moindre aléa s’avérant un rebondissement fatal sinon presque.

Toute la ville d’Atlanta est dévastée. On ne sait plus si le voisin est un zombie ou un être humain normal. En étant mordu par un zombie, un être humain devient à son tour un zombie. C’est l’enfer  ! Plus personne n’ose croire à un retour à la vie normale devenue une pure utopie.

Que dire  ? C’est réellement efficace. Le lecteur est constamment tenu en haleine. Walking Dead est à la base une recette déjà éprouvée, dont la sauce est relevée de façon magistrale

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